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Littérature
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Rome, samedi 10 septembre 1960, 17 h 30. Dans deux heures, quinze minutes et seize secondes, Abebe Bikila va gagner le marathon olympique. En plus de battre le record du monde en terre italienne plus de vingt ans après la prise d'Addis-Abeba par Mussolini, le soldat éthiopien va courir les quarante-deux kilomètres et cent quatre-vingt-quinze mètres pieds nus. "Vaincre à Rome, ce serait comme vaincre mille fois", avait dit Hailé Sélassié.
Seul un tour de force littéraire pouvait rendre compte de cet exploit sportif qui, en pleine période de décolonisation, offrit la médaille d'or à tout un continent : Sylvain Coher se fait Petite Voix dans la tête du champion et insuffle à la langue le rythme, la mécanique, les accélérations d'une course de fond, jusqu'au bien-être des endorphines, jusqu'à l'envol final du sprint. Ainsi raconte-t-il comment grandissent les héros, comment se relèvent les peuples, comment se gagnent les revanches et comment naissent les légendes. -
«Splach, le moussaillon vient tout juste de s'endormir quand le panneau coulisse et déverse son déluge sur le plancher du carré. Faut voir comme il sursaute, Petit Roux, il se dresse sur les coudes avec la tignasse hérissée et la gueule en sabord. C'est le moment, vocifère Furieuse en dévalant les quatre planches de la descente.» Un soir, à la proue du Ghost, un jeune marin s'oppose au reste de l'équipage. Sa mère, Câline, vient de mourir. Et, dans ce monde recouvert par les eaux montantes, le voilà qui lui murmure le serment de trouver un îlot où l'enterrer dignement. Même si pour cela il lui faut braver les lois et trahir les siens, même s'il doit s'enfuir, disparaître, désormais seul sur l'étendue tumultueuse. Il se jette alors d'une embarcation à l'autre en quête d'une terre promise, déjouant la foudre des éléments et la fureur des hommes, défendant le corps maternel au péril de sa vie, jusqu'au bout de la Mer-océane, jusqu'au jardin interdit. Avec «Étraves», Sylvain Coher réinvente le récit maritime dans une langue éclatante, aussi précise que ludique, tout droit sortie des flots. Il nous offre une odyssée atemporelle où résonnent furieusement certains enjeux de notre époque, mais qui nous ramène, surtout, au plaisir incomparable de la fiction, de toutes ces histoires en nous, ferments de notre imagination
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À bord d'un simple voilier de plaisance, deux jeunes en rupture de ban qui viennent de traverser la France et une adolescente rencontrée sur la côte bretonne tentent de rallier l'Angleterre au départ de Saint-Malo. Un huis clos inquiet, moite et impétueux sublimé par une poésie vénéneuse.
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Ils ont traversé la France en diagonale dans une deux-chevaux délabrée pour atteindre la côte atlantique.
La maison décrépite aux odeurs de poussière, de chats errants et de moisi qu'ils louent au bord de la falaise, Elia semble la connaître, et elle interdit immédiatement l'accès aux pièces de l'étage. Elia fuit un passé, redoute les assauts de la mémoire et cache une valise. Mais son compagnon et ange gardien ne sait pas tout, ne peut que tenter de deviner, et c'est en spectateur frustré qu'il fait le récit de ces mois d'errance, d'angoisse, de whisky, de promenades les soirs de tempête et de rencontres glauques dans les bistrots du port.
Une certaine Solenn hante les murs, mais aussi les souvenirs et les paroles d'Elia. Et tandis que cette dernière oppose une rage autodestructrice aux fantômes qui pourraient la submerger, tandis que son ventre s'arrondit au son d'une chanson cubaine passée en boucle, le narrateur observe, relate et souffre avec Elia, pour laquelle il est capable de tout, y compris du pire. Dès ce premier roman paru en 2002 aux éditions Joca Seria, Sylvain Coher met en place un territoire romanesque à la troublante singularité : étrange, poétique et habité.
Le décor vibre de sons, d'odeurs, d'embruns et de réminiscences. Les personnages font parfois les frais d'un humour cruel et décalé, le lecteur également, mais l'impression qui domine est celle d'une empathie bienveillante pour des êtres perdus en plein désarroi, suspendus au bord du vide, en équilibre avant la suite : la vie, peut-être, ou l'abandon, ou encore la conquête d'une île dangereuse, inaccessible, comme un nouveau départ.
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Seule la vitesse compte. Le froid, les bruits, les images, les sensations en dépendent. Quand il est lancé sur sa machine, couché sur le corps de métal, entre une insomnie et l'apparition du soleil, Anton vibre de la seule vie qu'il se souhaite. Une course intense et sans fin dans l'immobilité pesante des jours. Pas d'avenir, mais l'instant transcendé ; pas d'objectif sinon une courbe à négocier, une plaque de verglas à éviter. L'amour de Leen alors est une entrave, car rien ne vaut une étreinte avec l'Elégante, l'impossible rivale de marque Triumph, l'ensorceleuse aux relents d'huile et de cuir, à la souplesse d'hirondelle.
Tous les jours, aux petites heures, Anton fend l'air comme suspendu dans le vide, quelque part entre le pont et l'eau. Mais la brume glacée qui monte la nuit des routes forestières de l'Est porte son lot de cauchemars et de fantômes. Le carénage ne protège que du vent, et la vitesse que du vide.
Hypnotique, précise et sonore, la langue de Sylvain Coher épouse les froides lignes de la mécanique pour produire une poésie lumineuse. Sur l'obsession et les rendez-vous fatidiques, Carénage est un roman envoûtant et sensuel, à l'impressionnante puissance onirique.
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« Le lac de Grandlieu couve sa ville maudite et quelques miracles dérisoires. Même lorsque les marais sont à sec on retient son souffle, les jambes légères pour que le pied n'y pénètre pas. L'eau tranquille ne s'endort jamais vraiment. On a vu l'Enfant d'Herbauges du côté de la Malsaine, toujours à l'aube ou au crépuscule. C'est ce que le vieux Malgogne raconte du bout des lèvres à qui veut bien l'entendre, avant de partir à la maison de retraite. Et sa main dessine dans l'espace une silhouette en bord de flamme pour décrire le velours rêche d'une peau d'écailles. L'Enfant est voué à une eau plus songeuse que la mort. C'est un orphelin malheureux. La dernière âme d'un fief sans terre ferme revenant formuler quelques reproches à l'endroit de sa mise au monde. Certains l'ont vu près de la Gohelière et sur le levis Les Bonhommes entouré de ses fonds sablonneux, les soirs d'hiver où le vent balaie la surface pour en lever les plis. Et d'autres encore jurent par Sainte-Anne qu'il était perché dans les grands arbres de l'Arsangle et de Saint-Aignan, dont les racines assoiffées baignent toutes entre-elles nouées dans les eaux brunes du lac. On a vu son corps semblable à celui des noyés sous des loques qui semblaient venir d'un autre temps. Nul ne l'a vu vraiment comme on peut voir ailleurs mais tous s'accordent à dire qu'il allait les pieds nus là où de vraies cuissardes eurent été nécessaires. »
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Invités à participer à une résidence littéraire itinérante dans le Nord-Pas-de-Calais en 2013, les deux auteurs ont sillonné la région et multiplié les rencontres dans les bibliothèques, les établissements scolaires, les centres pénitentiaires, les librairies, etc. Ce texte est l'aboutissement de cette semaine et une évocation de leurs expériences.
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Sylvain Coher a écrit le récit terrible et fascinant de l'aventure de trois jours et trois nuits d'un groupe de clandestins venus de l'Est. Menés par un passeur, ils marchent dans la montagne, vers le rêve ou l'illusion d'un pays d'accueil. C'est un conte philosophique moderne, troublant de matérialité et de vérité. C'est une histoire tendue entre fiction et réalité, née de l'imaginaire de l'auteur, inspirée de paroles d'émigrés recueillies pour le projet« FRONTIèRE » du théâtre de l'Arpenteur à Rennes et aussi marquée par la dure actualité quotidienne des affaires de clandestins et de passeurs.