Les textes rassemblés ici recomposent par fragments une méditation consacrée à toutes les formes d'art, en une rêverie nourrie de lectures et de souvenirs intimes. Ils se ramifient par une série de références orchestrées en motifs récurrents, centrés sur le rêve, la poésie, la musique et le romantisme. On y croise Gérard de Nerval et Alfred de Vigny, Schumann et Hoffmann, Caroline von Günderode et Novalis, Fanny et Félix Mendelssohn, Baudelaire, Rimbaud, Victor Hugo, Van Gogh, Emily Dickinson et Mary Shelley, Hölderlin et René Char, Emily Brontë, et encore les images de Peau d'âne et d'autres fantômes cinématographiques, ainsi que des ombres qui valsent sur une scène de théâtre ou se tiennent immobiles au coeur d'un grand musée. Cette réflexion serait lettre morte sans la mémoire enfantine de la comtesse de Ségur et d'un grand-père fantasque, sans les voix aimées qui animent ces images oniriques, romances, Lieder ou poèmes murmurés dans le noir, faisant lever les songes sur les ailes du chant.
L'oeuvre de Nerval, si singulière, a souvent été l'objet de lectures qui ont essayé de montrer la profonde organisation d'une poétique, thématique ou structurelle, en reconstituant une esthétique d'une séduisante cohérence.
Pourtant, la nouvelle édition de la Pléiade (1984-1993) a révélé sa fragmentation tragique, dans une enquête pleine de zones d'ombres, d'incertitudes, avec ses redites, ses contradictions, au point de dérouter des lecteurs habitués à des textes devenus lisses. Une réalité douloureuse, celle de la difficulté de l'écriture, est apparue dans son dénuement, que les points de vue très déterminés avaient fini par faire oublier.
Interrogeant la segmentation et les répétitions, c'est ce désordre émouvant que ce travail voudrait questionner, en suivant le cheminement peu orthodoxe du poète, à travers des ouvrages de facture diverse, du journalisme aux traductions, du théâtre de collaboration aux canevas d'opéras, des nouvelles aux poèmes à forme fixe, et jusqu'à une autobiographie rêvée, afin de proposer une lecture qui s'inscrirait dans ce que Barthes a appelé, en 1978, à propos de Proust, une " histoire pathétique de la littérature ", attachée aux " moments de vérité " qui donnent leur dynamique à l'oeuvre.
Dès lors, " l'émiettement " est la rançon de cette expérience. Dans les déchirures, la figure d'un poète inquiet se dessine, qui marche en aveugle vers une Étoile, absorbé par la coïncidence de la signification du monde avec celle de sa vie. Emblématique de la constitution réciproque du texte et du sujet, l'Étoile symboliserait le point de convergence de routes mystérieuses, aux confins des grands genres, image de la conjonction autant que de la disjonction.
Cette biographie de l'oeuvre analyse le parcours répétitif, enchevêtré, concentrique, d'un poète meurtri, dans sa tentative d'atteindre le coeur du réel, de l'autre côté du désespoir.
Ce volume étudie la question de la transmission et de l'héritage, dans la poésie des XIXe, XXe et XXIe siècles, en s'intéressant aux différents phénomènes de contamination, d'hybridation, de traduction. À partir de Baudelaire, la poésie moderne révèle la présence fantôme du modèle contemporain, antérieur, étranger, ou venu d'un autre art, peinture ou musique.