Ni, le livre de Dominique Meens, enrobe et, ce faisant, dérobe celui de Léon Constantin Brahms, son traducteur attitré, Toupies de Ni. C'est ainsi qu'il fait du second le sien, et de ces toupies le commentaire suivi du séminaire XVIII, d'un discours qui ne serait pas du semblant, de Jacques Lacan. Léon Constantin Brahms donne le tournis de Ni, cette fois le personnage, et quel, un paillasse, clown exorbité, extravagant et féroce, accumulateur de voir dire ("vrai dire" en français, à l'époque de Guillaume de Machaut). Ni, nieur de long en large et en travers, s'en trouve jeté d'un revers de mains, celles de l'auteur qui le capture et celle de Brahms qui le décrit, jeté où se déroulent les présentations de malade du Docteur Lacan. Conclusion, n'est-ce pas plutôt le séminaire qui commente les révélations de Ni plutôt que le contraire au contraire wolman ? Voilà Ni, M. Ni, et donc l'auteur lui-même et ses amis, fiction ou pas, bien emberlificotés, isn't it ?
Un trajet de rapace. La proie repérée dans les hauteurs. Large contour. Abri des lisières, des alignements de peupliers, des buissons. A découvert tout d'un coup, le piaillement bref du mulot. Plein les bottes. Trajets d'enfance. Plus qu'un paysage, un domaine, un conte, une chambre entre deux aulnes.Alors pourquoi partir ? Ou jamais parti. Ou parti vers l'aplomb des blés, des seigles, de l'orge. Avec la buse et l'ortolan.
Que chasse-t-elle ? l'insecte, autant dire rien.
Où chasse-t-elle ? en l'air, autant dire nulle part. la voilà décrite. que chassons-nous, nous autres ? des bribes, autant dire rien. où chassons-nous ? dans nos bibliothèques, autant dire nulle part. nous voilà décrits.
Ce nouvel attentat ornithologique est en trois parties nettement marquées.
Envisageant pour commencer la lecture sous un angle sportif, je propose en guise d'échauffement l'étude approfondie de l'aigle grec, à savoir de ce que nous ont légués les Grecs à son propos. On me voit donc courir sur les traces des textes anciens et revenir très essoufflé. Le lecteur musclé par cette première partie suivra sans peine la deuxième. Je me risque là en plein ciel et compose une série de pages à la gloire des rapaces européens.
On se doute qu'il ne s'agit pas seulement d'un guide ornithologique. Ces portraits jetés de l'aigle, de l'épervier ou de la buse disent aussi bien le monde où nous vivons. La dernière partie de l'ouvrage est commandée par le Condor. Divers personnages partis dans les Andes équatoriennes enquêter sur cet oiseau monstrueux n'en reviendront pas. En son temps, un écrivain a épuisé un cachalot. Mon pari était d'épuiser le condor.
De promenades aux alentours de Quito en expériences chamaniques, tous mes personnages sont avalés par la bête. Mais soyez sans inquiétude, l'auteur, et son lecteur, si de justesse, et très secoués, en réchappent. Si ces trois parties ont été réunies, c'est qu'elles indiquent trois voies, trois manières, trois prises en main du monde qui puissent lui faire rabattre son caquet et laisser chacun un peu plus libre.
D'où le titre.
Dominique Meens s'est toujours passionné pour les oiseaux (voir entre autres, les trois tomes chez Allia, de sa très réputée Ornithologie du promeneur). Mes Langues ocelles se situe dans le sillage de cette passion.
Comme l'auteur a bien dû, et pas mal, se déplacer pour les entendre, ces oiseaux, c'est un ouvrage qui se déplace beaucoup entre l'essai, le dialogue, le poème, et qui de même déplace beaucoup. On dit si bien : la question est déplacée.
Et c'est encore une fois un régal d'insolence, d'érudition et de culture, de virtuosité littéraire.
Un mot de son dessin. Ce livre arrange son fil comme on faisait autrefois les pelotes de laine. Il danse en huit autour d'un vide, celui, on ne s'en étonnera pas, de ces langues supposées.
Le lecteur pourra l'augmenter de l'audition des enregistrements effectués par l'auteur et mis à sa disposition sur Internet. Emporter sa lecture dans les bois pourrait être une solution plus adéquate encore.
« L'oeil du promeneur voit d'autres tas d'écrits, car l'océan efface son ardoise à chaque marée ou presque. » L'auteur a trouvé à lire sur les plages d'une île qu'il fréquente depuis plus de quarante ans (Oléron). Des lettres écrites et alignées sur les plages par l'Océan lui-même ! Quelques photographies, dans le livre, en donnent la preuve...
Avec ce deuxième volume consacré aux recherches sur le signifiant dans la nature, Dominique Meens, « après avoir tenté de nous faire prendre des tournoiements d'oiseaux braillards pour des tas de signifiants dans la nature (dans Mes langues ocelles paru en 2016) comme il le dit lui-même, prétend aujourd'hui que « sa page plagie l'Océan ».
Fantaisies formelles, phrases insensées, discours imaginaires, il s'agit bien d'une nouvelle enquête ludique, poétique, dominée par la figure de la palinodie. Comme l'Océan et l'éternel retour des vagues sur la plage, le texte lui-même révoque volontairement tout ce qu'il s'est efforcé de démontrer. On y découvre des poèmes (et le Prométhée de Shelley), du théâtre, du drame, de l'érudition, de nombreuses références littéraires mais aussi musicales (Brahms). L'auteur chasse le signifiant dans la nature pour y installer et découvrir l'écriture humaine. Et pour finir, dans son Prométhée revisité, il rejoint les préoccu- pations politiques du jour, le discours apocalyptique adopté partout.
Aujourd'hui je dors comme je torchis. D'la balle dans les trous à bourrer d'mon mieux. Bourrage de crâne ! Intoxication alimentaire ! Ultragauche totalitaire ! Anarchisme dévergondé ! Terrorisme utopiste ! Foutoir ! Oui, et ça bouge voyez-vous ? C'est mouvant, ça remue, comme la mer qui remue tout le temps à son rythme.
Et la mer fait son bruit. Et son bruit s'écrit Gudrum, Gudrum. Et c'est le motif de Miguel Donoso Pareja. Et Miguel Donoso Pareja est né en 1931 à Guayaquil, où il écrit.
'au point du jour debout dans le pré appuyé contre le mur de la cave à l'abri du vent qui siffle au-dessus les yeux ouverts à s'emplir de corneilles je qui vient à la fin dans la pluie'
Quelqu'un veut attraper son présent comme on jette le sel sur le poulet. Des intermèdes dans la course au trésor découvrent un philosophe inconnu, un théâtre révolutionnaire.
En mai l'auteur verse très soudainement dans une dépression bien de son temps. L'autofiction prend le relais qui s'impose et le sort du marasme.
Septembre, il va se replacer sous le joug quand une apparition l'interrompt. Ah ! L'amour !
Qu´y a-t-il dans le livre d´un écrivain qui dit «Aujourd´hui je dors»? Des rêves? Il n´y en a pas un seul. Sans doute parce qu´il ne dort que d´un oeil. Qu´il veille, comme les bêtes.
Le livre commence par se demander ce qu´il est, ce qu´il va faire de cette veille prolongée. Les choses viennent d´elles-mêmes : qu´est-ce qu´un albatros? un drôle d´oiseau ; à quoi sert la ponctuation? à vivre ; qui est Frank Venaille? un poète. Des choses passent devant l´oeil de celui qui veille, il leur saute dessus et, leur réglant leur compte, nous les place sous un nouveau jour. C´est Voltaire par exemple qui joue au chat et à la souris avec un certain Palissot : n´est-ce pas un jeu d´aujourd´hui? Mais si mais si. C´est Sangatte dont bien des journalistes ont parlé : la poésie s´en mêle et dit ce que c´est que Sangatte. Car voici ce qu´il y a dans le livre, presque tous les genres, de l´anecdote au roman en vers, du cut-up au couteau à pain au ciselage d´un vers de dix-sept pieds, de la liste à n´en plus finir à la notation brève ; tous les tons, ou presque, de l´humour grinçant à l´humeur noire, de l´amusement léger à une vague de tristesse ; il y a même une chanson d´amour que le lecteur pourra mettre en musique s´il veut. Ce qu´il n´y a pas, c´est une histoire.
Dominique Meens ne raconte pas d´histoires, ne se raconte pas d´histoires. Il a d´ailleurs un ton quelque peu comminatoire parfois, du genre «ne me faites pas d´histoires hein!» Ce pourrait d´ailleurs être une bonne introduction, un premier exercice, pour ceux qui redouteraient de lire des livres sans histoires. Parce qu´en vrai, il y en a une, celle d´un écrivain qui ne dort que d´un oeil.
Ce nouveau texte de Dominique Meens, comme les précédents, plus que les précédents peut-être, est un curieux et excitant patchwork, d'idées, de mots, de genres et d'oeuvres. Un bric-à-brac, dit l'auteur. Il s'ouvre par une chronique, dirait-on, d'une vie aujourd'hui, à Paris, une vie attentive à celle de l'esprit, sollicitée par le monde et la musique, et la littérature, et la pensée. Puis il se poursuit par des poèmes de Guillaume de Machaut, de nouvelles adaptations en français actuel de ces poèmes, des extraits des métamorphoses d'Ovide, des dessins de François Matton, une mise en scène théâtrale de Jack Spicer, et les métamorphoses d'Antoninus Liberalis.
Voici ce que dit de son entreprise Dominique Meens lui-même.
«Aujourd'hui je dors ai-je décidé au tournant du millénaire.Voilà où ça m'a conduit: au Dorman. C'est une forme, qui donne son nom à un livre que publie mon éditeur.
Vous souvenez-vous de cette expérience que vous avez assurément vécu:
Un rêve ou la lumière de l'aube a interrompu votre sommeil; vous vous êtes levé sans trop vous en rendre compte ;vous avez gagné une autre pièce, avez préparé du café; pendant quelques brefs instants, soudain, quelque chose vous semble lumineux, d'une évidence cinglante, votre vie peut-être, bientôt le monde, l'univers entier. Mais vous buvez votre café, avez ouvert un magazine, un livre qui sait, le merle siffle dans la lumière naissante, quelque chose vous a ressaisi, votre vie, un enfant et ses questions de la veille, un dossier en attente au bureau, une lettre imbécile de votre banquier, votre rêve, votre rêve éveillé. Un Dorman s'écrit dans l'entre-deux que j'ai tenté de vous décrire. Ce peut être un film, une peinture. une radiophonie. Ici, c'est un Iivre.Je prends les choses du monde, de notre rêve éveillé, et, à l'arraché, je tente de les ramener dans cet entre-deux avant qu'elles ne me subjuguent.Je suis moins fort à ce jeu qu'elles, ou je suis trop seul à ce tir à la corde: aussi, quand une chose du monde va m'emporter, va me sortir de cet « aujourd'hui je dors », j'en attrape une autre. C'est pourquoi il y a tout un bric-à-brac dans mes bouquins. Ces dormans que j'écris depuis le tournant qui est le mien finissent tout de même par vouloir dire quelque chose au monde du rêve éveillé: tous ces cauchemars, famines organisées, maladies contrôlées, dettes précipitées, servage généralisé, et tout le tremblement de Fukushima, suffit! Pendant la Terreur, quand l'aube emportait les charrettes à la bascule, un poète anglais s'exclamait d'un vers « Sleep no more! ». C'est un « Dream no more! » qui est à l'ordre du jour. Je ne dis pas que j'y parviens, je dis que j'y suis. »
« Certaines choses comme les sarcelles perdues ne sont pas remplaçables. » Dominique Meens
Lecteur, faites vous-même le wolman : sans rougir, déchirez vivement par le milieu et verticalement la page 107 puis la page 301 de ce nouvel aujourd'hui mien. Vous signifierez ainsi la séparation introduite dans un volume atteint par des limites. Vous verrez le mouvement séparatiste provoquer le volume disparatiste, le wolman's land comblé d'un pour un wolman. Adressez-moi, chez l'éditeur, ces deux parts de pages volantes. Elles feront symbole entre nous.
Après avoir exécuté force cabrioles autour de l´oiseau, plutôt derrière que devant et dessous que dessus, ce qui ne l´a pas amené bien haut, Dominique Meens, fatigué de ces exercices épuisants (Ornithologie du promeneur, Allia 1995, 1996, 1998 ; dernier volume P.O.L, 2005), s´est demandé que faire de ses aujourd´hui. Dormir lui a semblé la réponse la plus conséquente (Aujourd´hui je dors, P.O.L, 2003), poétique de surcroît (voir M. Jacques Vaché). Il en a déduit, comme tout le monde, une Internationale, l´Internationale Disparatiste, et son École, l´École de Puerto López. Il va sans dire qu´il est le seul membre (un membre assez disparaté tout de même pour faire illusion) de ces deux institutions.
Puisque aujourd´hui dort, demain fait le boulot : voyager, rêver, mourir, avec de l´amour toujours tout autour. L´auteur convoque à ces fins quelques doubles. Réel : Matisse Andreas Gomez, un auteur sud-américain, pour le voyage ; fantasmatique : Ulysse, pour le rêve ; idéal : Nerval, pour un Tombeau.
Le voyage découvre l´amour, le rêve montre ce qui l´empêche et le Tombeau où il conduit. Rien qu´on ne sût déjà mais qu´il est intéressant, agréable et amusant de vérifier. Quant à la forme : un roman, une sotie, un tombeau, réunis.
Les cinq livres jusqu'à présent publiés de l'Ornithologie du promeneur constituent l'une des entreprises littéraires les plus ambitieuses et les plus singulières de cette fin de siècle. À chaque oiseau correspond la forme d'écriture adéquate et si Dominique Meens joue avec bonheur des genres, sa virtuosité n'est jamais gratuite.
« Que me reste-t-il des livres, on devra pour le voir ouvrir les miens. Aucun que je puisse élire - j'ai reçu l'éducation la plus stricte ; pis encore des contemporains, dont le tri reste à faire. » Dominique Meens
« L'ornithologue explique l'oiseau à l'homme, j'explique l'homme aux oiseaux. C'est très simple, puisqu'il s'agit d'aller se faire crever les yeux en plein ciel, il suffit de prendre un peu d'élan. » Dominique Meens
Notre nouvelle revue des poésies d'aujourd'hui, Animal, est sortie du bois !
Elle accueille des inédits de : Dominique Meens, Brice Petit, Fanny Garin, Sylvie Lobato, Caroline Sagot-Duvauroux, Jean-Pascal Dubost, Vannina Maestri, Sophie Loizeau, Jean-Louis Giovannoni, Arman Tadevosyan, Isabelle Baladine Howald, Christophe Marchand-Kiss, Alexis Audren, Claude Favre.
Nous avons souhaité que sa conception se fasse le plus localement possible :
Animal est mise en pages à Nancy, imprimée à Épinal, et façonnée à Seichamps (54).
Animal - Hiver 2022 accueille les inédits de :
Mary-laure Zoss, Etienne Faure, Amandine Monin, Olivier Domerg, Emmanuèle Jawad, Michèle Métail, Christophe Manon, Camille Ruiz, Luc Bénazet, Alban Kacher, Christiane Veschambre.
Les peintures de Jacques Le Scanff et les dessins d'Olivier Jung.
La réédition du texte " Où ils apprennent à lire, à écrire..." de Jean Thibaudeau.
À découvrir le savoir des anciens, on se trouve moins glorieux du savoir qu'on a. On ne désespère pour autant car, à " glossariser ", on vérifie qu'un savoir s'est déposé que nous parlons sans savoir. Il y a même à se réjouir : D'Arcy Wentworth Thompson en aura écrit, après mille autres. Les oiseaux donc, auront de quoi voler, faire parade et chanter, encore.
Notre ouvrage est utile voire indispensable à toute personne répondant à l'une où l'autre de ces propositions : elle possède une paire de chaussures de marche ; elle connaît l'histoire d'Achille et celle d'Ulysse ; il lui arrive de penser, voyant des hirondelles raser la prairie, qu'il va bientôt pleuvoir ; elle possède un dictionnaire, il lui arrive de le consulter ; des images d'oiseaux englués dans le pétrole ou le goudron l'attristent ; elle ouvre parfois un livre au hasard comme on faisait autrefois des Bucoliques de Virgile afin d'envisager l'avenir avec optimisme ; elle n'imagine pas qu'on puisse faire un roman d'un glossaire ; elle a entendu parler d'Aristophane et de ses comédies ; elle sait qu'il ne fait pas bon aux grenouilles d'avoir une cigogne pour tyran ; trop de racines grecques dans une phrase française l'agace ; elle n'a jamais de sa vie aperçu le moindre torcol ; elle aime rire, parfois même de choses sérieuses.
«Le promeneur explique l'homme aux oiseaux, mais de là à conclure, comme le font certains experts, qu'il est poète, voilà qui traduit un bel aveuglement philosophique. La présomption de mieux dire que les gens de métier est, chez un homme de la trempe du promeneur, qui a peu de principes, un mobile d'action bien plus vraisemblable que la poésie elle-même.»
Ce volume " hors-norme ", " hors-sol ", " hors-service ", offre avec légèreté, gravité et ironie, un aperçu de l'audace et du " charme " de la création poétique et littéraire contemporaine, aux frontières de notre époque.