Quels sont les ressorts subjectifs du processus de radicalisation et du passage à l'action violente ?
Quels enseignements peut-on tirer au regard de la clinique et de l'étude des trajectoires individuelles ?
Comment penser ce problème au carrefour de la psychologie individuelle et collective ? Ce livre, qui réunit les contributions de psychanalystes, de psychiatres, d'anthropologues, vise à éclairer les articulations à travers lesquelles des jeunes peuvent être saisis par un discours guerrier et, dans certains cas, les autorisent à devenir « tueur au Nom de. ». Les cristallisations existentielles qui conduisent vers de tels engagements n'obéissent pas à un modèle aussi univoque et déterministe qu'on le prétend généralement.
Une cartographie reste à établir, mais ici l'entrée par la coordonnée de l'idéal permet de lire comment, par le jeu de l'offre et de la demande autour de la figure de la victime et du vengeur, peuvent se déclencher des mises à disposition intimes à des souverainetés cruelles.
Livre essentiel, avec lequel Fethi Benslama fait le point sur une vingtaine d'années de travail. Travail exemplaire qu'il n'y a que lui à mener, lequel consiste à ne pas tenir pour rien les aspects fondamentalement subjectifs qui président à tout conflit ; dans le cas présent aux conflits qui dévastent les terres d'Islam. Des Musulmans, comme il est trop communément convenu de dire en Occident, suffit-il de parler en termes historiques, sociaux, économiques, géo-politiques ? Autrement dit : de masses ? Que peut-on en apprendre de déterminant en se servant des outils de la psychanalyse, par exemple ? Outils dont Fethi Benslama use ici d'une façon qui fera date, comme a fait date son livre La Psychanalyse au risque de l'islam.
"Gauchistes simplets, vous l'avez faite et vous nous l'avez donnée" : ce propos ironique prêté à des islamistes est significatif de l'esprit dans lequel est vécu le cours de la révolution dans le monde arabe. "Du printemps arabe à l'hiver islamiste" est une autre formule évocatrice du sentiment de déception, de désillusion, de l'idée d'un mauvais tour pris par les soulèvements, un an après leur déclenchement.
C'est la contre-révolution en marche. D'autres y voient la confirmation que ce n'était pas des révolutions, mais des coups d'Etat perpétrés à la faveur de convulsions populaires, dont naîtra un ordre pire que le précédent. Le mot " régression " est parfois lâché, et le regret des dictatures n'est pas loin. Ici ou là, on n'hésite pas à nous reprocher la joie éprouvée au cours des événements. Vous vous êtes réjouis trop vite, n'est-ce pas ? Et maintenant, êtes-vous optimistes ou pessimistes ? Qu'en est-il de votre hypothèse d'une sortie du monde arabe du paradigme de l'identité vers celui de la liberté ? Que les interrogations et les inquiétudes sur le cours actuels du monde arabe soient légitimes, cela ne fait pas de doute.
Mais que l'on veuille déjà considérer que les jeux sont faits, voilà qui ne laisse aucune chance à la liberté comme expérience, comme processus dialectique, comme prise de risque inévitable et sans garantie. Je voudrais poursuivre ici l'accompagnement du mouvement qui a donné lieu à la chute de la dictature le 14 janvier 2011 en Tunisie, et dont l'onde s'est étendue à toute une région et même au-delà.
Essayer d'éclairer les conditions sociales et subjectives des développements actuels est la seule possibilité d'affronter le passage de l'imprévu à l'imprévisible, avec un viatique pour le voyageur dans l'histoire en devenir.