Celui qui a poignardé Salman Rushdie le 12 août 2022 à New York n'était pas né en 1989, lorsque l'ayatollah Khomeiny lançait une fatwa condamnant à mort l'auteur des Versets sataniques. Que s'est-il passé d'irrévocable avec ce roman pour que trente-trois ans plus tard, l'acharnement continue ? Pourquoi un écrivain est-il devenu le bouc émissaire de la confrontation identitaire entre L'islam et l'Occident ? La réplique ici est de donner à lire une oeuvre qui va plus loin que le blasphème.
Comment penser le désir sacrificiel qui s'est emparé de tant de jeunes au nom de l'islam ? Cet essai propose une interprétation dont le centre de gravité est ce que j'appelle le surmusulman. Qu'il revête l'aspect d'une tendance ou qu'il s'incarne, il s'agit d'une figure produite par près d'un siècle d'islamisme. Je l'ai décelée dans ses discours et dans ses prescriptions, mais aussi à partir de mon expérience clinique.
La psychanalyse ne consiste pas uniquement à « thérapeutiser » des gens à l'abri d'un cabinet. Son enseignement clinique permet d'explorer les forces individuelles et collectives de l'anticivilisation au coeur de l'homme civilisé et de sa morale.
C'est pourquoi, ce qu'on appelle aujourd'hui « radicalisation » requiert des approches complémentaires, en tant qu'expression d'un fait religieux devenu menaçant et en même temps comme un symptôme social psychique.
La désignation de surmusulman a ici valeur d'un diagnostic sur le danger auquel sont exposés les musulmans et leur civilisation. C'est la raison pour laquelle cet essai se termine par un chapitre sur le dépassement du surmusulman, en perspective d'un autre devenir pour les musulmans.
Elles sont environ cinq cents à avoir choisi de rallier Daech. Comment penser ce phénomène et l'ampleur qu'il a prise en Europe, au point que, en 2015, le nombre de candidates au départ est devenu presque égal à celui des hommes ? Quelles sont les motivations et les aspirations de ces jeunes femmes et parfois toutes jeunes filles ?
En mettant en oeuvre d'une manière complémentaire les approche sociologique et psychanalytique, ce livre propose d'abord des analyses qui se fondent sur des critères objectifs (âge, classe sociale, lieu de résidence, culture musulmane ou conversion, etc.). Il éclaire ensuite les ressorts subjectifs de l'adhésion à ce régime violemment oppressif qui dénie aux jeunes femmes les acquis de l'émancipation féminine mais leur donne paradoxalement le sentiment d'exister enfin en tant qu'épouse de combattant et mère de "lionceaux", promis au combat comme leurs maris le sont à la mort.
Il faut s'intéresser à l'attrait qu'exerce une telle régression car il est probable qu'il constitue l'un des marqueurs de notre modernité.
À la suite des attentats de 2015, après la stupeur avait succédé une période frénétique où l'on prétendait faire la théorie de la radicalisation et de son traitement, souvent sans rapport concret avec la réalité.
Ce n'est qu'à la fin de l'année 2017 que des enseignements tirés de l'expérience avaient commencé à s'imposer. Parmi les acteurs de terrain, des « psy » avaient accumulé les observations issues de leurs pratiques. Les États généraux psy sur la radicalisation qui ont eu lieu à Paris, en novembre 2018, avaient pour but de mettre en commun leurs connaissances. Cet ouvrage rassemble les contributions de plus de 90 intervenants qui se sont relayés au plus près d'un phénomène qui a surpris par son ampleur, angoissé par ses menaces.
La radicalisation touche majoritairement des jeunes, dont les deux tiers ont entre 15 et 26 ans. Elle peut mener à la violence, mais pas nécessairement, non sans répandre la haine et l'insécurité diffuses. Il s'agit d'un ensemble de manifestations évolutives, aux ressorts multiples. Leur unification à travers la notion de radicalisation qui s'est imposée dans toutes les langues, fait ici l'objet d'une vigilance déconstructrice et critique.
États de la radicalisation, le titre de ce volume, se réfère non pas à l'idée d'un inventaire, mais d'une exploration de problèmes réels, que l'on pourrait regrouper en trois pôles : la violence et la dangerosité, les difficultés du traitement, les dispositifs de prise en charge.
S'il est vrai que l'émanation idéologique de la radicalisation, dont il est question, ressortit à la crise contemporaine de l'islam, néanmoins il ne faut pas que son spectre islamoïde fasse oublier qu'elle appartient aussi à la fureur insurrectionnelle d'une époque, et qu'elle est déjà présente dans d'autres formes d'extrémismes identitaires.