H.D. (Hilda Doolittle, 1886-1961) est une des figures les plus fascinantes de la poésie américaine. Adoubée en tant qu'« Imagiste » au début du XXe siècle sous son pseudonyme par Ezra Pound, elle sut trouver sa propre voie, en une époque tourmentée.
Hélène en Égypte est le dernier poème de H.D., celui du bilan d'une destinée singulière, aux épisodes dramatiques aboutissant à une sorte de « joie ardente », celle de la consumation de soi au brasier de l'amour, destruction et régénérescence permanentes, et de la plénitude à laquelle l'oeuvre en chantier ininterrompu permet d'accéder. Ce poème tient de la tragédie antique où les protagonistes prennent successivement la parole. H.D. se regarde écrire ce que sa vie lui a donné à vivre - des êtres fabuleux à croiser et à sonder, des actes à entendre en leurs résonances intimes, des symboles - images, mots, sons permettant d'établir la communication entre les êtres et les actes, entre affect et entendement -, correspondances à établir afin que la clarté advienne. Outre la fréquentation de poètes et d'écrivains majeurs de son temps (Pound, D.H. Lawrence, W.C. Williams), H.D. s'est nourrie de la lecture des Anciens (Euripide, Théocrite) ; elle est allée chercher auprès de Freud une réponse à l'énigme de l'existence ; elle a connu la guerre à Londres sous le Blitz, a perdu là des êtres chers ; elle s'est enfin tournée vers l'ésotérisme pour tenter de démêler les noeuds de l'énigme.
Hélène en Égypte, poème du lyrisme magique, est conçu comme un dialogue avec ce qui dans les profondeurs de soi aura permis l'accomplissement ultime :
Celle qui énonce le chant est le double de celle qui se confronte aux personnages qui ont été au centre de gravité de sa destinée. Les parties chantées alternent en continu avec la narration : le poème devient une chambre d'échos où les voix se répondent.
Amour d'hiver rassemble trois livres de poèmes (ou trois longs poèmes), inédits, écrits à la toute fin de la vie de H.D (Hilda Doolittle 1886-1961). Par la forme, le ton, le propos, ils continuent Vale Ave, traduit en français et publié en 2016 chez Ypsilon. Plus que jamais l'écriture est affaire de survie : elle entend prolonger la vie en redonnant au souvenir une puissance d'avenir, et en accordant l'histoire intime à un tout. Les poèmes de H.D. procèdent ainsi comme une chaîne d'associations, de liens, de correspondances infinies entre les mots, afin de former un monde qui se tienne enfin.
H. D. introduit Vale Ave par une lettre adressée à Amico, son amie et ancienne compagne Bryher, car elle entreprend d'écrire cette histoire intime qui est aussi une histoire de l'humanité, son « destin inexorable », l'histoire de « tous les hommes et femmes » qui s'unissent, puis se quittent, se retrouvent et se séparent. Ave Vale, Salut Adieu. Cette histoire a comme origine, plutôt qu'Adam et Ève, Lilith et Lucifer, dont les personnages de Vale Ave, qui se succèdent dans le temps, sont autant d'incarnations, de l'Égypte ancienne au Londres de la Deuxième guerre mondiale. Parmi les avatars de Lilith se détache la figure d'Elizabeth Dyer, nièce d'un « alchimiste et poète élisabéthain ». Par « l'alchimie de la mémoire », elle peut rappeler à elle celui qui fut brièvement son amant, le poète, officier et explorateur Walter Raleigh. H.D. se rappelle elle aussi, et à travers le « mystère » et le « présage » de l'histoire d'Elizabeth et Walter, cherche à ressaisir ceux de ses « sept réunions » avec un autre officier anglais, que les biographes identifient comme le héros de la Bataille d'Angleterre, le général d'Aviation Hugh Dowding.
H. D. (Hilda Doolittle, 1886-1961), poète américaine, est une pointe du triangle dont les deux autres seraient Ezra Pound et William Carlos Williams. C'est au bas d'un de ses poèmes, "Hermes of the Ways" qu'en septembre 1912 Ezra Pound inscrivit "H.D. Imagist"; première mention de l'imagisme et de ces initiales qui désormais remplaceront son nom.
Malheureusement trop longtemps considérée comme une émule fidèle de l'imagisme et membre de l'écurie d'Ezra Pound, ce n'est que depuis peu (en partie du fait de l'essor du féminisme) que sa poésie, et surtout ces derniers livres, War Trilogy (1973), Helen in Egypt (1961) et Hermetic Definition (1972) sont apparus comme l'oeuvre d'une poète majeure en quête d'un "gnosticisme" moderne et explorant la psyché, l'histoire, les mythes et les traditions de l'humanité.
Trois recueils de poésie ont été publiés en France : Hélène en Égypte et Le Jardin près de la mer aux éditions de la Différence, dans la traduction de Jean-Paul Auxeméry, et Hermetic Definition aux éditions Tarabuste, traduit par Marie-Françoise Mathieu.
La Trilogie, terminée en 1944, représente le sommet de l'art poétique de H.D., après un peu plus d'une demi-douzaine de recueils et de romans publiés entre 1916 et 1940, elle rédige ce long poème en trois parties où, sortant de la veine imagiste de ses débuts, elle compose une épopée sur le bombardement de Londres qu'elle lie avec les mythes égyptiens, grecs et chrétiens, créant de la sorte une immense fresque sur le rôle de la poésie dans un monde en guerre.
Dans Le Mythe de l'éternel retour, Mircea Eliade exprime très bien ce que faisait H.D. : " Par la répétition de l'acte cosmologique, le temps concret, dans lequel s'effectue la construction, est projeté dans le temps mythique, in illo tempore où la fondation du monde a eu lieu. Ainsi sont assurées la réalité et la durée d'une construction, non seulement par la transformation de l'espace profane en un espace transcendant, mais aussi par la transformation du temps concret en temps mythique. " H.D. passe continuellement du microcosme du poète qui observe ce qui l'entoure, " me cramponnai au brin d'herbe/ au dos d'une feuille ", au macrocosme de la guerre " dans la pluie des incendiaires ", comme encore dans le dernier poème de la première partie : " Et pourtant les murs ne tombent pas, / je ne sais pas pourquoi ; // un sifflement : zrr, / éclair dans une dimension / in-connue, non-déclarée " ; chacune de ses observations - peur, panique des bombardements, destruction du monde connu - sont alors creusées, approfondies, reliées à l'histoire mythique ancienne et moderne. Ainsi les murs détruits, " des portes tordues sur leurs gonds, / et les linteaux penchent // en diagonale ", ouvrent sur un autre paysage, une autre vision, bien plus vaste : " nous nous rendons // dans une autre cave, vers un autre mur tranché / où de pauvres ustensiles sont montrés / comme des objets rares dans un musée ", celle par exemple du quatrième chapitre des Nombres, ou Moïse et Aaron posent les ustensiles sur l'arche de l'oracle. B.H.
The classic Trilogy by H.D. (Hilda Doolittle, 1886-1961), including a large section of referential notes for readers and students.
Hermione est le premier de trois romans autobiographiques de H.D. Il a été écrit en 1927. Placé sous le signe de la renaissance (Hermione est le nom de la reine du Conte d'hiver shakespearien, dont la statue prend vie à la fin de la pièce), ce roman est l'exploration, près de vingt ans après, des zones glacées, frigides, où l'auteure se sentait retenue. Il s'agissait pour elle, face aux conventions du milieu et de l'époque, face aussi à l'ascendant intellectuel exercé par celui qui était alors son fiancé et qui devait rester son ami, Ezra Pound, de conquérir sa liberté de femme et son identité d'écrivaine. Un être intense nous est ici révélé, chez qui dominent l'acuité du regard, une sensibilité frémissante, une lucidité parfois dévastatrice et l'humour. L'écriture, d'une étonnante plasticité, traduit jusque dans leurs plus infimes vibrations cette approche d'un univers mental que la psychanalyse n'avait pas encore balisé.
Dans ce récit autobiographique, H.D. laisse parler et écrire Hilda, la petite fille qu'elle a été. Mots magiques, refrains de cantiques, souvenirs de conversation d'adultes entendues ou chuchotements surpris, consonances venues de langues inconnues constituent le sol où naît la future écrivaine.
Un père astronome, maître des étoiles et du feu, et, du côté de la mère, un don musical, « le » don mystérieux dont Hilda est si curieuse : le possède-t-elle et se transmet-il ? C'est ce secret qui précède toute naissance que Hilda Doolittle tente ici de décrypter.
Le Don est le second volet de la trilogie autobiographique de H.D.
Londres 1917. Ils ont la trentaine, ils ne sont pas la génération perdue, mais perdus, chacun à sa manière, ils le sont. C'est du moins ce que pense Julia. Tout autour d'elle évoluent Rafe, son mari, l'officier permissionnaire hésitant entre elle et Bella, le beau scarabée vert, Rico, le romancier érotomane, en lequel on peut reconnaître D.H. Lawrence, et aussi Vane, musicien. Les uns et les autres glissent dans des chassés croisés amoureux, sur fond de menace tragique, dans l'Angleterre bombardée. Julia, elle, connaît le froid intérieur, se sent exclue de leur jeu. Ou elle s'est mise hors-jeu. Elle est ailleurs. C'est elle qui tire les fils de la tapisserie, guette les reflets de la lanterne magique, c'est elle qui écrit le texte. Elle ressemble à H.D., comme Hermione ou l'héroïne du Don lui ressemblent. Tout autant que ces deux romans autobiographiques, Dis-moi de vivre est une exploration du labyrinthe intérieur dont, comme toute fiction véritable, le lecteur ne sort pas indemne.