Quoi ? tu veux qu'on se lie à demeurer au premier objet qui nous prend, qu'on renonce au monde pour lui, et qu'on n'ait plus d'yeux pour personne ? La belle chose de vouloir se piquer d'un faux honneur d'être fidèle, de s'ensevelir pour toujours dans une passion, et d'être mort dès sa jeunesse à toutes les autres beautés qui nous peuvent frapper les yeux ! Non, non : la constance n'est bonne que pour des ridicules ; toutes les belles ont droit de nous charmer, et l'avantage d'être rencontrée la première ne doit point dérober aux autres les justes prétentions qu'elles ont toutes sur nos coeurs.
(Acte I, scène 2)
Placé dans une situation sociale comique, amoureux d'une coquette, Alceste voit défiler tous les types humains qu'il réprouve. Molière a enfermé toute une époque dans un salon mondain et fait le portrait d'un milieu où le misanthrope fait figure d'attardé..
Après la première représentation du Tartuffe, le roi se voit obligé d'interdire la pièce et certains vont jusqu'à demander le bûcher pour son auteur. C'est que dans cette comédie, Molière dénonce la fausse dévotion, l'hypocrisie, l'imposture au service de l'ambition. Les amours de Marianne et de Valère sont menacées par le culte sans bornes que voue le bourgeois Orgon à un certain Tartuffe à qui il veut marier sa fille. Le héros, machiavélique et infâme, dont l'hypocrisie révolte les autres membres de la famille, entreprend de séduire Elmire, la femme de son hôte... Querelles, affrontements, portes qui claquent, supplications, l'un qui écoute aux portes, l'autre qui se cache sous la table, un huissier qui vient saisir les meubles, un Exempt qui fait intervenir la force publique : on n'a pas le temps de s'ennuyer dans la maison Orgon, le train y est infernal.
Vous voulez vous venger de l'avarice de votre maître ? Faites-lui croire qu'une troupe imaginaire de spadassins est à sa poursuite et que vous avez trouvé un moyen de le sauver. Prenez un sac. Mettez l'homme dans ce sac et prenez soin de bien le fermer. Promenez-le un peu sur votre dos à travers la ville. Profitez-en pour le rouer de temps à autre de coups de bâton. Mais prenez garde que votre victime ne découvre la supercherie...
Le cocu imaginaire offre le premier modèle de ces personnages dont les souffrances vont constituer l'essence de la comédie. Celle-ci donne, avec Arnolphe et Agnès, l'image des rêves, des désirs, des passions qui agitent le corps et le coeur des hommes. Et l'éveil d'Agnès, malgré la soumission où l'a tenue son tuteur, pose directement, à une société qui ne l'avait jamais entendue avec autant d'acuité, la question de l'éducation des filles, et celle de leur liberté. L'École des femmes marque ainsi une date dans l'oeuvre de Molière et dans l'histoire du théâtre lui-même : elle élargit le champ de la comédie à la peinture de l'homme et de la société, et affirme la dignité et la richesse du genre comique.
Argan est un homme parfaitement bien portant, ce qui ne l'empêche pas de se croire très malade. Pour s'assurer des secours contre la maladie, il lui prend l'idée de marier sa fille Angélique à un médecin, Thomas Diafoirus. Mais Angélique aime le jeune Cléante...
Tous les éléments sont réunis pour faire de cette pièce l'une des plus moliéresques : un charmant couple de jeunes premiers, une nouvelle femme très intéressée par l'héritage de son mari, une servante malicieuse, des travestissements, des coups de bâtons, et surtout, beaucoup de médecins tournés en ridicule...
La toute-dernière pièce de Molière est une oeuvre d'une grande force.
Il y réussit l'exploit de faire rire de sujets aussi graves que la peur de la mort, grâce à un style et un humour incomparables, tout en posant sur sa société un regard critique acéré.
Molière mourant s'est arraché une de ses plus belles comédies, et des plus actuelles. Qui ne se croit malade ? Qui ne dépend un jour de ses médecins, au point de refuser de guérir, ou d'en être séparé ? Et quel médecin n'est tenté par l'arrogance et le secret ? Un auteur visionnaire a ainsi dépeint la France, pays qui détient le record de la consommation des médicaments en Europe.
Harpagon est l'une des plus grandes créations de Molière. Tout, dans cet homme, respire l'avarice et la décrépitude. Rongé par une maladie de corps, Harpagon l'est aussi par une maladie de l'âme. Ladre, il rogne sur la nourriture et les habits de ses domestiques, sur l'avoine de ses chevaux, sur l'entretien de son fils, obligé d'emprunter à taux usuraire pour vivre, et sur les cadeaux indispensables à sa fiancée. Usurier, il prête à des taux exorbitants, calcule, évalue tous les objets qui l'entourent. Dans cette atmosphère poussiéreuse et sordide, où fusent les mots féroces, le père usurier s'oppose au fils emprunteur. L'avarice détruit l'amour filial, l'amour paternel, l'amour quel qu'il soit. La cassette remplie d'or enterrée dans le jardin est l'âme, le coeur, le souffle même d'Harpagon. Les retrouvailles d'un homme et d'une cassette sont ici le seul hymne à l'amour.
Une comédie étonnante, parce qu'elle est un curieux assemblage d'éléments divers. Ce fut d'abord un spectacle de cour : la danse, la musique (de Lully) contribuent aux divertissements royaux. C'est presque un livret d'opéra. Il y faut aussi de la galanterie : d'où les thèmes de l'amour et du mariage. Quant au bourgeois vaniteux, il suscite la moquerie, mais montre aussi la promotion d'une catégorie sociale, maîtresse de l'économie. À la fin, Molière fait danser tout le monde, en transformant la réalité en un univers de fantaisie.
Une femme battue force son mari, bûcheron de son état, mais ayant étudié le latin, à devenir médecin, spécialiste de cas désespérés : il ne veut pas qu'on meure sans ordonnance, et souhaite que les femmes restent muettes. C'est que ce métier est, de tous, le meilleur : «Soit qu'on fasse bien ou soit qu'on fasse mal, on est toujours payé de même sorte.» «Les bévues, dit encore le médecin, ne sont point pour nous ; et c'est toujours la faute de celui qui meurt.» Quant aux morts, «jamais on n'en voit se plaindre du médecin qui l'a tué.»
Les femmes savantes, c'est le savoir devenu fou, donc comique. Bélise aime trop les romans, Philaminte trop le bel esprit. Une teinture de philosophie, ou de science, ne suffit jamais ; le snobisme n'épargne pas les hommes, pédants ridicules comme Vadius et Trissotin. Le pire est que les héros aiment comme ils savent, de loin. Molière a transformé ces modèles momentanés en types éternels, en ancêtres de Bouvard et Pécuchet.
Deux jeunes seigneurs comptent épouser la fille et la nièce du bourgeois Gorgibus. Mais ces dernières, Cathos et Magdelon, les traitent avec mépris, leur reprochant de ne connaître ni la galanterie romanesque ni même La Carte de Tendre. Les jeunes hommes décident alors de donner une bonne leçon à ces précieuses, en leur envoyant leurs domestiques déguisés, l'un en baron, l'autre en vicomte. Puisque ces deux jeunes filles se targuent de connaître les usages courtois sur le bout des doigts, sûrement n'auront-elles aucun mal à différencier un véritable gentilhomme d'un valet travesti...
Dom Juan semble toujours en mouvement pour éviter ce qui le retient: Elvire avec qui il a convolé religieusement, les paysannes qu'il feint de vouloir épouser, son père qui veut le ramener dans le droit chemin. Il faut l'apparition d'une statue qui l'invite à souper pour que sa fuite trouve son terme. «Mes gages!» s'exclame alors son valet Sganarelle : drôle de façon d'exprimer le regret d'avoir perdu son maître...
Au fil de la pièce :
- 2 explications de texte.
- 1 commentaire de texte.
Le titre de cette comédie de 1660, six mois après Les Précieuses ridicules, est déjà un programme. Tout le théâtre de Molière tient dans ces trois mots. Sganarelle est un type comique qu'on retrouvera dans nombre de ses pièces, jusqu'au Dom Juan. Le cocu, c'est le personnage éternellement ridicule de la farce et du fabliau médiéval, berné et furieux de l'être... Molière fait d'une marionnette un caractère. La jalousie sera un des grands thèmes de son théâtre, et mène à Alceste. Le dernier mot du titre, l'imaginaire, désigne les illusions dont vivent les personnages, leurs égarements, la quête de l'authenticité et de la réalité sous les obsessions. L'essentiel est de rapprocher ces trois termes pour faire rire. On rit de la déformation, de la difformité:le masque déforme le corps, l'obsession déforme l'esprit, la passion torture l'âme.
Au commencement, une farce:le Barbouillé, mari jaloux, ne peut faire tenir au logis sa femme volage, laquelle parvient par une feinte habile à retourner sur lui la faute. Molière, qui a conçu en province cette Jalousie du Barbouillé, en reprend bien des années plus tard le sujet pour réjouir Louis XIV et sa cour. Le Barbouillé, rebaptisé George Dandin, est devenu un riche paysan marié à une fille d'aristocrates pauvres:promesse d'un échange de mauvais procédés. La mal mariée ne rêve que de tromper son rustaud de mari; lequel ne parvint pas à détromper ses beaux-parents obtus sur la vertu de leur fille. Parce que Molière est tout comique, la déconfiture du mari suscite le rire; parce que Molière est aussi tout humain, la conscience malheureuse de sa déconfiture rend le bonhomme presque touchant et donne à penser. George Dandin, une pièce acide? Sans doute. Mais une acidité tempérée par une pastorale chantée et dansée qui, à la création, enveloppait la comédie de ses douceurs bucoliques:c'était à Versailles, en juillet 1668, dans le cadre d'une fête somptueuse. Le classicisme français ne redoutait pas les contrastes...
«La mieux écrite de toutes les pièces de notre grand comique, c'est L'Étourdi, sa première oeuvre. L'Étourdi, disait Hugo à un ami, a un éclat, une fraîcheur de style, qui brillent encore dans le Dépit amoureux, mais peu à peu s'effacent, à mesure que Molière s'engage de plus en plus dans une nouvelle voie.»La première oeuvre de Molière n'a rien perdu de son charme ni sa verve comique de son éclat:Mascarille demeure le «fourbum Imperator» de la scène comique et son étourdi de maître le prince des gaffeurs, pour la joie pure et franche du spectateur. Plus de quinze ans avant Les Fourberies de Scapin, Molière en offrait ici déjà la somptueuse promesse dans un tourbillon de jeunesse et de rire.
L'hypocrite Tartuffe se situe à l'exact opposé de l'insolent Dom Juan. Là où le premier feint la piété pour masquer ses appétits, le second surjoue l'athéisme pour défier la souveraineté de Dieu. Dom Juan, armé de l'impétuosité du grand seigneur, Tartuffe, doué de la bassesse de l'intriguant, se démènent pourtant contre la même impossibilité : pour ces deux personnages le désir est interdit. Dom Juan est ainsi condamné à passer de femme séduite en femme à séduire, et Tartuffe à justifier ses obsessions charnelles par des arguties morales auxquelles lui-même ne croit pas.
Alceste, quant à lui, a cessé de se débattre. Le Misanthrope est le récit de cette résignation. Exigeant l'idéal féminin mais refusant d'idéaliser les femmes, Alceste se condamne à la solitude.
Privées de morale, ces trois pièces sont des variations tragi-comiques sur l'impossibilité du bonheur.
Lisette : C'est un mari qu'elle veut.
Sganarelle : Je l'abandonne.
Lisette : Un mari.
Sganarelle : Je la déteste.
Si la demoiselle semble souffrante, c'est que son père ne veut pas l'avoir élevée pour devoir se séparer d'elle... Pourtant, la servante Lisette lui dit à haute et intelligible voix ce qu'il en est. Molière a davantage confiance en l'amour qu'en la médecine, et on devine donc ce qui guérira la fille de Sganarelle...
La Jalousie du Barbouillé - Le Médecin volant - L'Amour médecin.
L'École des femmes, qui enrichit la satire formulée dans L'École des maris un an plus tôt, est un laboratoire. Elle a donné lieu à La Critique de l'École des Femmes, mise en scène tranchante des débats que la pièce a suscités. Puis à L'Impromptu de Versailles, qui évoque ironiquement la réception de la Critique elle-même.
Quatre pièces dans lesquelles Molière dénonce le ridicule de ceux qui croient à leur rôle au point de s'y tenir. À l'hypocrisie du théâtre social, il oppose le secours de la comédie.
Parfois négligées, les trois pièces offertes en regard de L'École des femmes montrent pourtant un Molière qui s'engage dans la défense de sa pièce, allant jusqu'à se mettre lui-même en scène. Car c'est bien en homme de troupe que Molière perçoit les rôles que les uns sont prêts à jouer et que les autres s'apprêtent à trahir.
Le dieu Jupiter est, une fois de plus, amoureux. Mais comment séduire la fidèle Alcmène ? En prenant les traits de son mari ! Son serviteur Mercure, quant à lui, se fera passer pour le valet : Sosie. Mais voici qu'Amphitryon et Sosie reviennent de la guerre. Quiproquos, malentendus, rebondissements...
Dans Folioplus classiques, le texte intégral, enrichi d'une lecture d'image, écho pictural de l'oeuvre, est suivi de sa mise en perspective organisée en six points:
Mouvement littéraire : Le théâtre, lieu privilégié du rayonnement royal Genre et registre : Le théâtre comme arme polémique L'écrivain à sa table de travail : La fabrique de théâtre Groupement de textes : Le théâtre : mensonge ou vérité ?
Chronologie : Molière et son temps Fiche : Des pistes pour rendre compte de sa lecture.
Dans ces deux pièces, se dessine la structure qui sera propre à la comédie classique dont l'action conduit à la résolution d'un conflit et à la levée d'un obstacle : obstacle réel qu'est dans Le Médecin volant l'opposition de Gorgibus au mariage de sa fille, vaincu par la fourberie de Sganarelle ; «obstacle vide» que sont dans Le Mariage forcé l'indécision de Sganarelle face à son prochain mariage avec Dorimène et son oscillation entre la naïveté et la violence. Dénoncer l'imposture des médecins et de la médecine, prendre pour cible le personnage du mari trompé ou craignant de l'être appartiennent certes depuis longtemps à la satire et au théâtre populaire. Mais leur récurrence chez Molière, jusqu'à sa dernière pièce, Le Malade imaginaire (1673), en passant par L'Amour médecin (1665) ou Le Médecin malgré lui (1666), pour le thème de la médecine, Sganarelle (1660) ou Georges Dandin (1668), pour le cocuage, font de ces thèmes de véritables symboles du théâtre de Molière.
«Je vous dis donc que je suis mal satisfait de mon mariage».
Et pourquoi George Dandin en arrive-t-il à cette conclusion dès la scène 4 du premier acte? C'est que le paysan enrichi qu'il est a voulu s'élever dans l'échelle sociale. Pour ce faire, il a épousé Angélique de Sotenville. Autrement dit, il a acheté une particule en s'alliant avec une famille noble désargentée : où est l'amour dans tout cela? Certainement pas entre les mariés... Et Dandin le paiera cher, si l'on peut dire. Trompé, ridiculisé, et obligé de s'excuser pour de fallacieuses raisons. Il y a de quoi se sentir «mal satisfait», non?
+ un dossier en quatre parties :
Je découvre.
J'analyse.
Nous avons la parole.
Prolongements.
Classe de quatrième.
Quatre comédies où pleuvent les coups, quatre farces où les masques passent de mains en mains. Il ne s'agit plus, pour Molière, de dénoncer l'hypocrisie mais d'en savourer le fumet:résignation burlesque à une vanité qui n'épargne personne. À quelle bizarre maxime peuvent bien obéir des personnages comme Scapin ou Sbrigani? Escrocs de haute moralité, ces coquins-là n'agissent jamais par intérêt. Dans Monsieur de Pourceaugnac, Sbrigani, «homme d'intrigue», roule impitoyablement, de manière désintéressée et pour le compte d'un amoureux, un paysan qui prétend épouser une jeune fille. Dans Les Fourberies, Scapin extorque malicieusement de l'argent à deux vieillards... pour le remettre à son maître. Sagesse du pitre qui n'ignore plus que les intrigues, de bourses ou de coeurs, ne se nouent qu'à la faveur de l'ennui et ne se jouent que pour y échapper. Spadassins imaginaires, médecin habilité à coups de bâtons... Molière débusque un monde où titres et fonctions ne sont que le prolongement de la farce par d'autres moyens.