Un présupposé fondamental traverse l'ensemble des sciences contemporaines : la connaissance scientifique doit être neutre sur le plan métaphysique. Autrement dit, elle doit s'abstenir de recourir à des entités invérifiables et utilisées dans des discours relatifs à une forme de transcendance. Ce principe d'« abstinence métaphysique » n'a pas surgi subitement dans les cerveaux des savants. L'auteur montre comment cette idée est apparue en histoire naturelle au XVIIIe siècle.
L'examen de sa naissance éclaire les représentations actuelles de la science. Il permet à la fois de ne plus considérer l'abstinence métaphysique comme un principe éternel et de démonter la mécanique des créationnismes modernes.
En jouant sur l'ignorance de l'histoire de cette idée, les créationnistes actuels présentent l'abstinence métaphysique comme une fermeture à certaines hypothèses - les leurs. Ils relativisent ainsi le principe d'abstinence métaphysique pour donner à leur braconnage intellectuel l'allure d'une pratique autorisée. En montrant comment l'indépendance de l'histoire naturelle vis-à-vis de la théologie a correspondu en fait au succès d'une métaphysique alternative, on en finit aussi bien avec le mythe du combat de la vérité contre l'erreur que de celui du relativisme opportuniste des créationnistes. Le principe d'abstinence métaphysique évacue Dieu des énoncés, tout en autorisant ou bien un certain type de Dieu détaché de la nature, ou bien son inexistence.
Le matérialisme est souvent présenté comme une méthode inhérente aux activités théoriques et expérimentales des sciences de la nature. L'idée que le scientifique a pour tâche d'expliquer des phénomènes matériels, sans recourir à des entités transcendantes échappant à la vérification empirique, est presque partout solidement établie. D'où vient cette proximité entre sciences et matérialisme défendue par de nombreux scientifiques ? Partir en quête d'un génial précurseur chez qui une vérité méthodologique serait apparue subitement est vain. Au contraire, ce livre montre que la relation entre le matérialisme et les sciences est un mouvement progressif, qui a commencé à devenir explicite à partir du milieu du 18e siècle en France, lorsque certains naturalistes et philosophes se sont rencontrés et ont échangé différents concepts. De Buffon jusqu'à Lamarck, en passant par Diderot et d'Holbach, chacun a mobilisé les ressources de discours variés pour défendre ses propres objectifs. Comprendre la proximité entre les sciences et le matérialisme consiste ici à retracer la phylogénie conceptuelle au cours de laquelle des discours physiques et métaphysiques se sont combinés.
Mais cette ascendance commune ne doit pas servir de prétexte pour assujettir les sciences, car elle a engendré avec le temps deux registres nettement distincts. Il ne demeure en définitive aujourd'hui qu'un seul caractère partagé entre sciences et matérialisme : l'indépendance visà- vis des concepts transcendants.
Ils ne sont pas victimes d'un rapport de forces politiques ou social qui leur lierait les mains, mais ils sont d'abord prisonniers de leurs propres croyances, autant d'entraves à l'extinction réelle des inégalités économiques.
Ces croyances forment une idéologie, propre à tous ceux tenaillés par un malaise à l'égard des souffrances d'autrui dues aux inégalités économiques. Elle est nommée ici l'idéologie hollandaise pour montrer que depuis le célèbre texte de Marx jusqu'à ce président falot, nous sommes tous renvoyés à notre propre impuissance, quelles que soient nos appartenances. Nous sommes tous des hollandais, malgré nous ou non, jusqu'à ce que nous parvenions à réduire effectivement les inégalités.
La première de ces croyances consiste à penser qu'une certitude dans l'action est indispensable pour réussir à changer les choses. La seconde tient dans la croyance qu'un « marché » existerait en dehors du langage. La troisième réside dans l'idée que l'égoïsme et l'altruisme seraient des choses réelles. La quatrième est qu'il y aurait quelque vertu incontournable dans l'inégalité économique. La dernière repose sur la thèse que le changement pour vaincre les inégalités sera nécessairement douloureux.
Toutes ces chimères mentales, diversement intériorisées par les individus désireux d'en finir avec les inégalités économiques, nous empêchent d'accéder à un art de la transformation éthique du monde. Ce livre a pour but de décomposer ces croyances et d'en extraire une approche nouvelle pour agir contre la persistance des inégalités.
Histoire synthétique du matérialisme, un courant de pensée qui a joué un rôle déterminant dans la vie scientifique et culturelle du monde occidental.
Depuis la célèbre fiction forgée par Laplace en 1814 dans ses Essai philosophique sur les probabilités - dite du démon de Laplace, abondamment commentée dans ce Matière première -, qui voit une intelligence infinie calculer selon certaines lois tous les états du monde, le déterminisme est un cadre central de la connaissance scientifique. Pourtant, de nombreux débats parcourent cette idée. Existe-t-il un seul paradigme déterministe, dont les modifications seraient en fait des variantes, ou faut-il pluraliser les déterminismes selon les sciences (biologiques, historiques et sociales, etc.) et les positionnements philosophiques ? Face aux limites des modèles déterministes et du cadre laplacien, qu'il s'agisse de mécanique classique, de mécanique quantique, de biologie, des sciences humaines ou de philosophie, doit-on accepter l'écart entre l'horizon de notre connaissance et sa mise en pratique, éventuellement en nuançant l'idéal laplacien, ou faut-il au contraire tenter de dépasser tout paradigme déterministe ? Tombe-t-on alors nécessairement dans l'indéterminisme ontologique, comme on l'a souvent affirmé précipitamment ? Enfin, philosophiquement, quelles sont les implications d'un déterminisme conséquent, en particulier sur le plan moral ?
Ce numéro de Matière première aborde d'une manière multiple et interdisciplinaire ces questions. Il articule des enjeux scientifiques, épistémologiques et philosophiques autour de la tension entre le déterminisme, ses critiques et l'indéterminisme. Epistémologues, historiens des sciences (naturelles et humaines), scientifiques et philosophes font le point sur les approches classiques et proposent de nouvelles perspectives.