henri thomas
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Miroir de la solitude, roman de l'errance nocturne, La Nuit de Londres montre un promeneur qui serait normal s'il n'allait pas la nuit à la rencontre d'un autre homme qu'il connaît bien, trop bien peut-être.
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Personne n'a mieux compris ce Parjure que vous ; c'est que le point de départ vous est parfaitement connu, étant cette sorte de secret qui est au foyer de l'esprit maintenant, et que tous subissent et très peu tentent de comprendre. A mesure que j'écris, il y a quelque chose de plus en plus commun qui s'impose à moi - et vous savez aussi que nous vivons quelque chose d'inouï. Le problème de la communication ou non-communication poétique me paraît étrangement dépassé, et même renversé : tout est communiqué, et rien n'est encore exprimé (ce qui est peut-être le contraire, ou la contre-partie). Naturellement les rêveries prolifèrent, je n'arriverai jamais à couper à travers - je ne vois le soleil qu'en sous-bois.
Philippe Jaccottet est né en Suisse à Moudon en 1925. En 1941 il rencontre Gustave Roud qui lui fait découvrir Novalis et Hölderlin. Agé de vingt ans, il voyage en Italie, rencontre Ungaretti, puis en France où il séjourne, à Paris de 1946 à 1952. Dépassant l'existentialisme comme le surréalisme, Jaccottet instaure un clacissisme plus concret. En 1953, il s'établit en Provence à Grignan avec sa femme, peintre, et ses deux enfants, au moment où paraît son premier grand recueil : L'effraie et autres poésies. On lui doit, en marge d'une oeuvre poétique abondante, de nombreuses traductions : Ungaretti ou Musil dont il a rendu accessible au lecteur français la quasi-totalité de l'oeuvre.
Henri Thomas est né en 1912. Proche de Gide et du groupe de la NRF, il noue très tôt de solides amitiés littéraires. Il publie en 1940 son premier roman, Le seau à charbon, puis l'année suivante son premier recueil poétique, Travaux d'aveugle. Après quelques années à Londres, John Perkins, prix Médicis en 1960, puis, Le promontoire, prix Femina en 1961, lui assureront une certaine notoriété. L'année 1965 marque le début d'une période sombre. Devenu veuf il ne publie que de minces plaquettes avant de renouer, en 1985, avec une intense activité créatrice.
La correspondance de ces deux figures majeures de la poésie est le filigrane d'un demi siècle d'histoire littéraire. Débutée en 1949 elle ne prend fin qu'en 1993 avec la mort d'Henri Thomas.
Réunis par le même souci d'équilibre entre «délice et supplice de vivre», entre angoisse et splendeur, c'est d'abord la poésie qui est au centre de leurs échanges : la littérature est le seul grand sujet de cette réflexion vivante.
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«Il s'agit d'un fragment de la vie d'un homme [...] qui n'est pas sans ressembler à l'Ulrich de Musil, d'abord parce qu'il a, comme celui-ci, un père chargé d'années, d'honneurs, de sciences, un professeur qui a réussi sa carrière et qui reproche, au contraire, à son fils, de n'être qu'un petit romantique et de n'avoir pas trouvé sa voie:encore l'homme sans qualités opposé à l'homme à qualités, c'est-à-dire à ce malheureux héros moderne qui ne peut suivre la voie tracée par son père parce que celle-ci est devenue purement formelle, vide, et qu'aucune autre voie ne semble se présenter à lui. Ulrich, ici, s'appelle Stéphane Chalier; il est professeur de littérature; il a décidé, un beau jour, d'aller en Amérique écrire une thèse sur Holderlin. [...] S'agit-il donc d'une variation sur le thème de Robinson, ou de la révolte contre la Société organisée, ou sur la déchéance de l'individu à la Beckett? Il y a bien quelque chose de tout cela, mais l'essentiel est ailleurs, et se dérobe. Comment le faire sentir? L'essentiel est peut-être une lumière à la fois mystérieuse et certaine projetée sur les choses les plus réelles et les plus quotidiennes (villages, feux de bois, montagnes, animaux, corps et pensées), sur la détresse, sur l'égarement, sur l'angoisse, sur l'horreur même; une lumière qui les transfigure sans les arracher au monde, qui les rend inoubliables.»Philippe Jaccottet.
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«J'ai beaucoup de mal à me revoir dans cet emploi de précepteur, fort précaire, au foyer d'un marchand de voitures, boulevard Jourdan, vers 1938. Peu d'argent, peu d'amis dans Paris, et l'instabilité générale (qui n'épargnait pas le marché automobile), la glissade vers la guerre. Cela encore - l'inquiétude, un certain comique des mauvaises surprises - je parviens à le ressaisir. Ce que je retrouve très difficilement, par contre, c'est l'essentiel du Précepteur : la joie qui m'a permis d'écrire ce livre, l'élan qui me faisait alors traverser les difficultés comme des cerceaux de papier. Un clown ? Quelqu'un d'assez risible par moments, un étourdi, un rêveur éveillé, horriblement craintif et avide à la fois. Il est naturel que l'un des trois récits dont se compose le livre ait trait aux années de collège. Le précepteur des enfants Chavanet est resté, par bien des traits, l'adolescent exalté qu'il était dans mon premier livre (Le seau à charbon).
Les notes éparses sur lesquelles s'achève Le précepteur sont les témoins d'une joie, d'une légèreté, par moments intenable : il fallait l'user, la malmener, la perdre, arriver enfin au désert.» Henri Thomas.
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«S'il existe parmi nous des hommes, des femmes, pour qui la vie et la mort ne sont pas ce qu'elles sont pour nous, des êtres à qui manque, si l'on veut, notre sens de la mort et de la vie, ou qui possèdent un autre sens, tout aussi peu définissable que le nôtre, sinon que là où nous ressentons menace, vertige, négation, ils sont aussi loin de nous qu'un arbre ou qu'une pierre, qu'adviendra-t-il à celui qui, n'étant pas entièrement comme ceux-là, ne peut ni les fuir s'il les rencontre, ni les rejoindre tout à fait dans leur tranquilité sans nom?» Henri Thomas.
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Cent aphorismes, extraits de Blätter une Steine, paru en 1934, et traduits par Henri Thomas, le passeur inspiré des Falaises de marbre et Coeur aventureux, édités dans une mise en page aussi rigoureuse qu'aérée pour le centenaire de leur auteur.
« Dans une prose qui renonce aux conclusions, il faut que les phrases soient comme graines et semences. », « Au domaine de la plus haute décision, la volonté n'a pas accès. », « Les déesses ne livrent que leurs statues. », « L'Eros de la brève rencontre n'est pas moindre. Il est autre. », « Qui veut tout décrire, mure les fenêtres du langage. »
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Publiés entre septembre 1987 et octobre 1988, ces neuf Dextre Senestre constituent l'ultime ensemble, à la suite de Reportage (2020) et Amorces (2021), des pages de carnet soumises à la NRF et, jusqu'ici, jamais réunies en volume. Bribes de rêves, citations perçantes, survol du présent et observations vagabondes sont marquées du regard attentif et malicieux qu'Henri Thomas porte sur lui et son monde. Ne suivant aucune règle - surtout pas celles qu'imposerait un genre littéraire - si ce n'est le besoin d'écrire et son plaisir, la plume traverse les évènements, aussi anodins soient-ils, pour qu'y soient sondés les désirs et les craintes de l'homme qui les rapporte. Comme les fragments qu'elles sont, ceux d'une oeuvre qui mériterait à être plus amplement remarquée, ces notes épousent le rythme de l'existence - ses imprévus, sa soudaineté - et forment, en tous sens, une juste et délicieuse littérature.
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Dans la suite immédiate de Reportage, paraissent dans la NRF, entre 1982 et 1987, ces cinquante-trois Amorces, pour la première fois réunies en volume. De ces chroniques (qui n'en sont pas) voici ce que dit Lionel Bourg :
«La vie est là, pourtant. Neuve. Palpitante. Des corps sont beaux à pleurer. Le désir se soustrait à son assouvissement. Une lèvre frémit. Une larme coule et, si la mort rôde, son secret de Polichinelle n'intrigue ni les vieillards ni les enfants. Mieux vaut se jeter à l'eau. Nager. Marcher par les rues la nuit. Se raconter des histoires. Sauter à cloche-pied jusqu'au ciel ou à l'enfer de sa marelle. C'est que rien ne s'apaise, rien de soi ne subsiste qu'à l'intérieur de ses propres ruines, que la lecture d'un tel ouvrage, en?n, se change petit à petit en enchantement : on marque le pas, rêveur, pensif, s'arrête ou s'accorde une pause à la clôture de chaque paragraphe, chaque note, chaque poème, chaque citation même, toujours prompte à prendre à revers le lecteur, tout ce que l'exigeant compagnon de Léon-Paul Fargue évoque propageant sa longueur d'onde au gré des eaux d'une littérature libre d'aller à sa guise.» -
«Qui a vécu aux États-Unis se souvient du timbre des sonnettes là-bas ; quelques notes très douces, musicales, tranquilisantes ; elles ne réveillent pas les enfants. Ainsi s'annonçait John Perkins, tard dans la nuit. Une petite halte en passant, le temps de dire, presque à voix basse, qu'il n'en pouvait plus, qu'il n'avait pas dormi depuis... Je connaissais sa situation ; elle ressemblait à beaucoup d'autres, en somme, mais lui, qu'il était singulier !Puis ces visites ont cessé, et c'est alors qu'il ne m'a plus quitté, tout un hiver. [...]Il me semble maintenant que le romancier n'a d'autre liberté : celle d'un intense scrupule au sein de l'inévitable.» Henri Thomas.
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«Était-ce l'après-guerre qui éveillait partout un érotisme particulier, joyeux, sournois, moins passionné que sous l'Occupation, mais quoi ? Plus affamé, cherchant en riant qui dévorer. Il ne savait pas. Il avait eu tant d' histoires de filles. Une dans un hiver froid, et pas de chauffage ; il s'était procuré une bouteille d'alcool, qu'il versait dans le bidet de sa chambre, cela faisait une bonne flambée pour la fille... chauffage provisoire, qu'est-ce qui n'était pas provisoire, depuis le gouvernement jusqu'à son séjour à lui, à La Batterie ? On trouvera cette nuit même quelqu'un d'exécuté au Bois de Boulogne, par une justice provisoire...» Henri Thomas.
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Pierre BIoncourt, en vacances à Bordeaux avec son amie Suzanne, reçoit une lettre lui donnant quelques détails sur les circonstances où l'un de ses amis, Claude Sorge, a trouvé la mort plusieurs années auparavant. Claude Sorge était lieutenant en Tunisie ; il a péri au cour d'une baignade sur une plage du golfe de Gabès. La lettre révèle aussi que quelques années plus tôt Claude Sorge avait eu un accident d'auto assez grave. Un certain docteur Praince, de Bordeaux, l'avait sauvé. En réalité Claude Sorge n'est pas mort ; il a déserté, et pas seulement déserté le régiment, mais son nom, sa vie, son être. Il tient maintenant un café-dancing dans un petit village du littoral corse, et s'appelle Sabatini. C'est là qu'un hasard - du moins Pierre le croira d'abord - les conduira lui et Suzanne. Le docteur Praince, qu'ils ont vu à Bordeaux, n'était pas sans savoir, lui, que Claude Sorge n'était pas mort, il savait même beaucoup d'autres choses, et ce n'est pas sans raison que Suzanne le haïra. Sabatini est beau ; cela lui est probablement égal ; sous ses apparences d'homme vigoureux et actif, on pressent un esprit lucide et une bien singulière méchanceté. Suzanne s'éprend de lui, comme l'avait prévu et souhaité le docteur Praince. Mais un accident d'auto mortel (un suicide ?) met Sabatini -Sorge au-delà de toute atteinte. Le docteur Praince viendra, afin d'effacer la dernière trace, brûler la croix de bois qui marquait sa tombe isolée (les villages corses n'ont pas de cimetière). Pierre se séparera de Suzanne et s'en ira en Amérique, non pas en fuyard, mais désigné (sans doute) pour la solitude. On verra, c'est possible, dans ce roman, une philosophie et surtout une critique de l'évasion.
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Humble, tout de même, je dois l'être, de plus en plus, à mesure que j'approche de l'inévitable, sans que je fasse aucun progrès dans mon effort pour comprendre ce qui s'est passé entre nous trois. La clarté vient, cela est certain, elle me pénètre un peu mieux chaque jour, mais elle vient à moi, non pas de moi, ni d'aucune personne... J'ai blasphémé ; elle ne vient pas d'une personne, mais de la Trinité vivante. Il me reste peu de temps pour recevoir toute cette lumière, si même une faiblesse abjecte n'interrompt pas tout à coup sa venue, et ne me rejette pas en deçà de ce que j'ai été si longtemps.
La petite racine de la pierre sous le doigt s'expliquera peut-être, il faut lui laisser sa chance, aussi bien c'est la sienne à lui... Il y reviendra demain. Il sait très bien en finir avec ces petits bouts de rêve, comme cela, la main traînant sur la pierre. Il a regardé la plante un bref instant, elle lui est apparue, et une apparition n'a pas besoin de temps.
C'est l'automne, un homme observe et constate la survivance d'une plante prise entre les fissures des pierres dans le parapet du Pont Louis-Philippe pourtant nettoyé chaque année. Cette observation, il la partage avec un couple, Lucien et Denise, qu'il suit et observe depuis longtemps. Comme si sa vie était tout entière était réglée sur la leur. C'est au coeur de la plus totale dépossession - comme habituellement chez Thomas - que naîtra le sentiment emerveillé d'une présence au monde.
Le temps dans une nouvelle forme diffuse y est un fragment d'éternité.
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Le mot trézeaux, encore employé dans la plaine vosgienne, désigne trois gerbes de blé qui reposent en faisceau sur le chaume après la moisson, attendant d'être rentrées pour le battage. Dans ce nouveau recueil, Henri Thomas a rassemblé soixante-seize poèmes. À cause de ce qu'elle a, non pas d'insaisissable, mais de non conforme aux schémas de l'enseignement et de la critique, trop peu de gens se sont aperçus jusqu'à maintenant de l'originalité absolue de la poésie d'Henri Thomas. Son ostensible négligence est une rouerie de grand seigneur. Il est peut-être le seul poète français qui sache, comme certains grands Anglais, naviguer à égale distance des profondes sources personnelles et du poème comme objet fini. Il sait être toujours la voix d'une liberté vivante.
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«À l'origine de ce roman un peu policier, un peu théologique, il y eut un "fait divers" de quelques lignes que l'on retrouverait, en cherchant bien, dans un quotidien du soir vieux de cinq ou six ans. Le vol, dans une église de la capitale, d'une relique sans valeur marchande est un fait assez étrange. Il est cependant passé, si j'ose dire, remarquablement inaperçu. C'est cela justement qui m'a d'abord intrigué ; il y avait là quelque chose de provocant pour l'imagination aussi bien que pour la réflexion. On verra dans quels singuliers problèmes je suis tombé, en suivant sans malice ma pente au sujet de cette parfaite disposition de la relique de saint Edry - qui s'écrit encore Ettri ou Hedderi -, et fut peut-être Ettericus, évêque des temps mérovingiens. Sommes-nous moins naïfs, moins rusés, moins barbares que les ouailles de ces temps-là ? La grande et la petite histoire sont poreuses à certaine lumière qui s'intensifie çà et là, au foyer de quelques gestes. Le vol de cette relique est l'un d'eux, où se fait jour la vérité : nous avons tous volé la relique.» Henri Thomas.
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La correspondance qu'ont échangée le vosgien Henri Thomas (1912-1993) et le finistérien d'adoption Georges Perros (1923-1978) est certainement l'une des plus attendues par les lecteurs des deux écrivains (tous les deux poètes, critiques, quand Thomas est par ailleurs romancier et traducteur) qui ont profondément marquél'histoire de la littérature française du milieu du XXe siècle, tant leur existence personnelle est étroitement liée aux thèmes développés dans leur oeuvre respective, tant les unit une certaine fraternité dans la fidélité à soimême, une absence de concession d'ordre social. Constituée d'une soixantaine de documents, elle débute en 1960 et prend fin à la mort de Georges Perros en 1978.
Les deux hommes, après avoir vécu à Paris, chercheront par tous les moyens, même les plus radicaux, à s'éloigner de la vie parisienne, pour trouver les conditions nécessaires à leur création littéraire. C'est cet éloignement autour duquel tournent les échanges entre les deux solitaires attirés par les littoraux, les îles, l'océan, quand les circonscrit tout autant une grande précarité matérielle pour ne pas dire carrément la dèche.
Cette correspondance littéraire commence en 1960 alors que Henri Thomas, après avoir vécu pendant dix ans à Londres, se trouve aux États-Unis où il enseigne à l'université de Brandeis, à Waltham près de Boston. Georges Perros, quant à lui, après Saint-Malo, habite Douarnenez où, d'une certaine façon, il a trouvé refuge.
« Cher Henri Thomas, Merci pour votre petit mot qui m'a fait bien plaisir. Nous nous sommes déjà rencontrés, il y a maintenant quelques années, mais dans un endroit où les hommes n'ont qu'une hâte : se fuir. Je veux dire le bureau de la N.R.F. Je vous reverrai toujours, levant le doigt pour prendre la parole, dans un mélange d'humour et de pudeur. Puis il y a votre oeuvre, que je connais, que j'admire, des « notes » aiguës de Porte-à- faux à cette pathétique Dernière Année que je finis de lire. J'espère que vous continuez d'écrire des sonnets. J'écrivais dernièrement à Georges Lambrichs qu'ils me rendaient jaloux. [...] » ] Thomas répond au moindre signe de son ami et lui envoie les livres dont se nourrit Perros. Il lui peint l'envers du décor où il puise les éléments de son oeuvre.
Cher ami, [...] J'ai beaucoup trop « travaillé » pour la radio, étant à Londres. Ce n'est pas un langage parlé, mais une espèce d'écriture déréglée où l'on ne se relit pas, on s'écoute lire. L'hiver 47, à cinq heures du matin, je donnais communication du mouvement des navires. Là, c'était parfait. Mais songer que quelqu'un écoute alors que je réponds gentiment à n'importe quelle question, - quel mauvais rêve ! D'autre part, c'est amusant et peu réel, un peu comme d'être au café à la nuit tombante avec personne et tout le monde. [...] »] Cette correspondance constitue un témoignage essentiel de la relation entre les deux hommes qui se rendent parfois visite. Elle prendra fin alors que Georges Perros, atteint d'un cancer du larynx depuis 1976, est hospitalisé à l'hôpital Laennec.
« Le matin, parfois, avant la mise en branle des soins etc. je vais tapoter sur un piano aux touches très cariées. Je suis seul.
Ça dure un quart d'heure, vingt minutes. Je me lève, me retourne, et là, derrière moi, assis comme doivent l'être les tigres au repos dans la jungle, une dizaine de silencieux, qui rêvent, me demandent de continuer. On se croirait outre-tombe.»
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" Sa passion des images libertines, érotiques - certains disent simplement : cochonnes -, remontait loin, bien avant la vague pornographique qui monte depuis quelques années et va sans doute atteindre son point culminant, si elle ne l'a déjà dépassé - mais cela, c'est la société, c'est l'histoire de la photographie.
Son histoire à lui est celle d'un homme, et d'abord d'un enfant, remarquablement solitaire, en qui certaines tendances se sont énormément développées, faute des distractions habituelles à l'enfance et à la jeunesse ". Dans ce bref roman inédit, qui date de 1975, Henri Thomas - dont on connaît la fascination pour les troubles petits déchirements intérieurs - tourne une fois encore autour de ce point obscur des relations entre les êtres qui nous fait peur...
Et, dit-il, " je crois que cela pourrait aussi bien nous faire rire. "
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J'étais en route pour la mer
Henri Thomas, Paul De Pignol
- Fata Morgana
- 11 Janvier 2013
- 9782851948601
Dans cette nouvelle inédite d'Henri Thomas, le personnage échappe à son auteur et au carcan de l'intrigue pour vagabonder parmi les souvenirs que lui remémorent le ciel maussade et la mer grise de la petite ville côtière où il séjourne et à travers les fantasmes que lui inspirent la tenancière de l'hôtel et ses voisins de chambre.
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Les cahiers de la NRF : Henri Thomas ; carnets inédits ; 1947, 1950, 1951
Henri Thomas
- Gallimard
- Les Cahiers De La Nrf
- 9 Mars 2006
- 9782070776580
«Les Carnets figurent au premier plan de l'oeuvre thomasienne, ayant nourri non seulement des livres, mais aussi les articles publiés dans La Nouvelle Revue française. Aux poèmes et aux récits s'ajoutent maintenant des pages écrites entre 1934 et 1951, découvertes il y a dix ans dans un grenier d'Asnières au cours d'une recherche entreprise dans le cadre universitaire. Ce sera au lecteur de décider s'il s'agit d'un abandon volontaire de l'auteur ou d'un simple oubli. Ce dossier serait-il, à partir d'une douloureuse expérience personnelle, ni plus ni moins qu'une tentative pour approfondir le mystère du rapport entre l'Homme et la Femme? Face aux pièges de la condition humaine, on y trouve, tracées, les grandes lignes d'une stratégie de défense. Thomas s'interroge sur les règles du jeu et en arrive aux conclusions suivantes:d'abord que c'est une erreur de voir dans une femme (ou un homme) un remède à la solitude; et ensuite que le seul être dont on doive attendre quelque chose, c'est soi-même [...] on doit seulement souhaiter que les autres donnent l'occasion d'offrir ce qu'on a, soi, ce qu'on crée pour eux.
Ce choix de l'écriture comme sacerdoce est ce qui fait du personnage de Thomas son intérêt si singulier. S'il a quitté ce monde il y a plus d'une décennie, sa voix n'en continue pas moins d'exercer une vraie séduction. Ces pages, inédites et poignantes, ne font qu'en confirmer la pertinence.» Joanna Leary. -
«Les recueils de poésies d'Henri Thomas se sont succédé parallèlement à son oeuvre de prosateur. On distingue, dans les poèmes comme dans les récits, un cycle vosgien, plusieurs cycles parisiens, un cycle corse, un cycle londonien, et ainsi de suite (un poème apparaît comme l'amorce d'un cycle américain). Le goût des voyages, de la mer et des îles, apparaît comme une constante. Thomas ne sera jamais un homme en place. Il aime trop bouger. Il a toujours éprouvé le besoin physique et moral de marcher : Il n'est pas possible que la marche apporte à chaque pas des objets captivants, a-t-il écrit, du moins elle apporte le mouvement qui est la condition de leur apparition. Ses poésies sont comme des jalons le long d'une route aux détours imprévus. On y voit la grande image lyrique voisiner avec le détail familier, la fantaisie avec le drame, la tendresse avec la colère, l' humour avec la mélancolie. La tentation de la déraison est souvent proche, mais toujours des paroles dorées viennent donner aux aventures du poète quelque ombre de sens.» Jacques Brenner.
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«Sur les hauteurs de Grasse, Cabris, au moment de l'armistice, est un lieu de refuge précaire, où Herbart, André Gide (le Bipède pour les familiers), Malraux apparaissent parfois. Tous ces êtres, et d'autres non moins importants (la petite Pascale qui a huit ans, et que Herbart épouvante, est au coeur de cette vie), mènent une existence vaguement picaresque, rationnée, menacée, un peu rassurée par la présence de Florent, le clochard sédentaire, protégé de la comtesse de Saint-Exupéry. Un livre s'écrit, ce pourrait être un roman comme beaucoup d'autres.Puis le gouffre. La mère de Pascale meurt. Le roman est rompu net. PLus que cela, dans le désordre et l'affolement de la mort, il est oublié, il disparaît. Le manuscrit sera perdu jusqu'au jour où l'amie de Pascale, superbe fille de dix-neuf ans, dira à l'auteur:Qu'est-ce que c'est que toutes ces pages? Ce n'est pas fini, et ce n'est pas mal. [...]Pour Pascale, pour son père, pour l'amie de Pascale, qu'est-ce qui reste quand vient le premier jour de neige sur la Haute Provence? Dans le frisson de vent aux volets, passent le souffle de l'absurde joie, l'étonnement d'être encore, le goût de l'éternel.»Henri Thomas.
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Chacun des récits qui forment La cible a son unité propre, et peut s'isoler de l'ensemble, mais c'est à la façon de ces moments d'une existence dont nous disons qu'ils tranchent sur le reste : accidents d'une perspective qui prend pour eux sa profondeur. Un gamin s'absente de la messe et ne parvient pas à inventer le sermon qu'il devrait répéter à ses parents, mais il trouve autre chose. Plus tard, au bord de la mer, il fait la connaissance d'une personne qui l'éblouit. Des années passent. Il rencontre à l'étranger un petit garçon collectionneur de squelettes d'oiseaux et de rongeurs. Il constate l'existence du satyre de l'aube. Il se promène sur les toits. Il emprunte la cravate et les souliers d'un magistrat équivoque... C'est encore la jeunesse ; mais vient une fois où le je narrateur s'efface. C'est la chance folle qui mène le jeu : le héros du dernier récit est un homme absent de sa propre existence. Tel est le lien logique de cette douzaine d'histoires moins une. On peut y voir aussi une suite d'images n'ayant de commun qu'un certain style ; le lecteur fera son choix.
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Icare Les soirs d'hiver, je n'y vois goutte, J'ai tous les doigts boulus de goutte, Tombé du haut de mon passé Dans l'avenir au vent glacé, J'étais encor resplendissant De tous les feux de mes cinq sens. Ether, mon père très aimant Je veux te voir dans l'océan.
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Carnets 1934-1948 "si tu ne désensables pas ta vie chaque jour..."
Henri Thomas
- Claire Paulhan
- 1 Janvier 2008
- 9782912222275
Fils d'un paysan vosgien, mort des suites de la grande guerre, et d'une institutrice, Henri Thomas se distingua dès le lycée par un premier prix de philosophie au Concours général de 1931. Un jour, il paria avec ses camarades du collège de Saint-Dié qu'André Gide lui-même répondrait à l'envoi de ses vers : Gide répondit et l'encouragea à lui téléphoner à Paris, dès son baccalauréat en poche...
Thomas fit sa khâgne à Henri-IV, où il eut comme professeur Alain ; tiraillé entre l'influence de son «maître» et celle de Gide, il se réfugia dans la lecture puis renonça, en 1934, à Normale comme à l'agrégation. Son compatriote Arthur Rimbaud lui avait insufflé une sourde révolte, toute entière reversée en poésie. Vinrent l'expérience ratée de la Guerre d'Espagne, le long service militaire en Moselle, les premières publications de poèmes, les travaux alimentaires confiés au jeune homme impécunieux (Le Précepteur, 1942). Introduit dans le milieu de la NRF, il publia un récit autobiographique, Le Seau à charbon en avril 1940, alors qu'il était aux armées. Le livre fut peu remarqué. «Il faudra savoir tirer parti au plus juste de mon mince bagage, au retour dans la vie civile. Peu d'argent, de rares possibilités de travail rémunéré, une énergie assez grande mais sujette à quantité de faux-pas» nota-t-il dans ses Carnets donnés à lire à Gide, qui en apprécia l'écriture «déjà pleine d'une riche substance».
Après la Démobilisation, il vécut dans une chambre de bonne prêtée par Gide, rue Vaneau : il s'exerça à la critique littéraire et publia des recueils de poèmes (Travaux d'aveugle, 1941) et des textes dans La Nouvelle Revue française, alors sous la direction de Drieu La Rochelle. Il s'arracha à ce mol inconfort, franchit la ligne de Démarcation et se réfugia à Cabris au sein de la petite communauté regroupée autour d'André Gide, des Van Rysselberghe et des Mayrisch (Le Goût de l'éternel, 1990). Après avoir failli épouser Catherine Gide, «le petit Thomas» se maria avec une jeune étudiante en philosophie, Colette Gibert, et commença un livre au titre ironique, La Vie ensemble (1945).
À la Libération, Henri Thomas devint secrétaire littéraire de l'hebdomadaire Terre des Hommes, dirigé par Pierre Herbart ; il aida Arthur Adamov à lancer sa revue L'Heure nouvelle et fonda en 1947, avec Marcel Bisiaux, la revue 84, qui réunit, cinq années durant, Alfred Kern, André Dhotel, Georges Lambrichs, Pierre Leyris et Jacques Brenner. Puis, ce fut la longue et douloureuse rupture avec Colette, qui, depuis leur visite à Antonin Artaud à Rodez en 1946, était devenue «l'une des filles de son délire» (elle est la «Lucie» éperdue du roman de Henri Thomas, le Migrateur, 1983). 1948 fut, pour le jeune écrivain l'année du départ volontariste pour les «hivers charbonneux» de Londres, où il devint traducteur à la BBC.
Après un certain effort d'intégration sociale en Angleterre et son remariage avec Jacqueline Le Béguec, qui devait mourir en 1965, il enseigna la littérature française à l'université Brandeis (Massachussets) aux États-Unis, de 1958 à 1960. C'est dans la société américaine qu'il trouva l'inquiétant sujet du roman qui le fit connaître : John Perkins obtint le prix Médicis en 1960. L'année suivante, Le Promontoire eut le prix Fémina... Henri Thomas revint gagner sa vie en France, appointé comme lecteur des manuscrits de littérature allemande chez Gallimard - où il publia quasiment tous ses livres jusqu'à la fin de sa vie, en regrettant cependant qu'ils ne fussent point discutés en comité, mais acceptés d'emblée...
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Un recueil de cinq textes : Les Tours de Notre-Dame, Les Anciens Élèves, Les Cendres d'un grand feu, Les Pieds retirés, La Porte, et voilà reconstitué une fois de plus l'univers d'un de nos plus singuliers romanciers dont La Nuit de Londres demeure un signe inoubliable. L'anecdote servant de support à chacune des nouvelles ne compte pas : résumer serait nuire à la réalité qu'Henri Thomas, à travers une écriture d'une simplicité étonnante, sait rendre à la fois douloureuse, charnelle, insaisissable. Son art, d'une rare complexité, est capable de maintenir tout lecteur dans la trame d'un vécu transfiguré. Une jeune désespérée qu'il suit dans les rues d'un Paris étoufffant, la rencontre de deux anciens amants dans la ville de Londres, gommée par le brouillard, un homme fasciné par le grincement d'une porte imaginaire suffisent au tracé d'un seul concerto secret exprimant l'amour, le regret, la solitude, ainsi qu'un désespoir plein de pudeur.