Augustin Cournot (1801-1877) a marqué l'histoire de la pensée économique en introduisant la modélisation des phénomènes économiques, et non leur seule quantification. Ce constat appelle une double question : 1° Comment la rupture opérée par Cournot s'inscrit-elle dans l'histoire et l'évolution des méthodes de l'économie ? La question se pose d'autant plus que les Recherches sur les principes mathématiques de la théorie des richesses passèrent d'abord presque inaperçues. 2° Que reste-t-il aujourd'hui de ce tournant effectué par le « philosophe-géomètre » ? Autrement dit, comment penser l'actualité de l'oeuvre économique de Cournot ? Or, avant d'être un économiste, Cournot est d'abord mathématicien et philosophe. Comment son oeuvre économique s'accorde-t-elle alors avec son activité de mathématicien, et comment prend-elle place dans sa réflexion philosophique, c'est-à-dire à la fois dans sa théorie de la connaissance et dans sa philosophie de l'action et de la décision ? Comprendre la portée de l'oeuvre économique de Cournot et sa place dans son oeuvre multiforme, tel est le projet qui anime le présent ouvrage où économistes, philosophes, historiens des sciences et sociologue entrecroisent leurs approches de celui qui demeure l'un des économistes et des philosophes majeurs du xixe siècle.
Ils ne sont pas victimes d'un rapport de forces politiques ou social qui leur lierait les mains, mais ils sont d'abord prisonniers de leurs propres croyances, autant d'entraves à l'extinction réelle des inégalités économiques.
Ces croyances forment une idéologie, propre à tous ceux tenaillés par un malaise à l'égard des souffrances d'autrui dues aux inégalités économiques. Elle est nommée ici l'idéologie hollandaise pour montrer que depuis le célèbre texte de Marx jusqu'à ce président falot, nous sommes tous renvoyés à notre propre impuissance, quelles que soient nos appartenances. Nous sommes tous des hollandais, malgré nous ou non, jusqu'à ce que nous parvenions à réduire effectivement les inégalités.
La première de ces croyances consiste à penser qu'une certitude dans l'action est indispensable pour réussir à changer les choses. La seconde tient dans la croyance qu'un « marché » existerait en dehors du langage. La troisième réside dans l'idée que l'égoïsme et l'altruisme seraient des choses réelles. La quatrième est qu'il y aurait quelque vertu incontournable dans l'inégalité économique. La dernière repose sur la thèse que le changement pour vaincre les inégalités sera nécessairement douloureux.
Toutes ces chimères mentales, diversement intériorisées par les individus désireux d'en finir avec les inégalités économiques, nous empêchent d'accéder à un art de la transformation éthique du monde. Ce livre a pour but de décomposer ces croyances et d'en extraire une approche nouvelle pour agir contre la persistance des inégalités.
En France, la tradition de philosophie économique est brillamment illustrée?: la publication d'un «?état des lieux?» en fournit le référent francophone, un panorama aussi complet que possible afin de s'y orienter. La critique que peut porter la philosophie économique se comprend comme un partage bien pensé entre bon et mauvais usage de la raison, comme méthodologie ainsi que comme ontologie, une discussion du rôle des sciences adjacentes (comme la psychologie), de l'usage des normes, des modes de raisonnement, l'explicitation des bases trop souvent dans l'ombre de l'analyse économique vue en ses champs d'application multiples?: simulation, analyse institutionnelle, finance et autres enjeux.
Les contributeurs du présent volume, connus pour leur expertise dans leurs champs respectifs, en proposent un examen représentatif des tendances actuelles. Le collectif ici réuni s'inscrit dans une tradition, celle des Leçons de philosophie économique coordonnées par Alain Leroux et Pierre Livet, qui avait marqué une étape dans ce domaine. La philosophie économique comprise comme mise en question réflexive de la discipline trouve avec le présent état des lieux un nouveau jalon?: au titre d'un regard épistémologique, il offre à nouveaux frais la carte d'un champ en plein essor, et ce avec une ampleur renouvelée par les auteurs francophones ici rassemblés. Le but des coordinateurs du volume est de fournir un vade-mecum pour philosophes et économistes soucieux de compréhension mutuelle.
Avec : Catherine Audard, Antoinette Baujard, Gilles Campagnolo, Mikael Cozic, Ricardo F. Crespo, Claude Gamel, Jean-Sébastien Gharbi, Cyril Hédoin, Maurice Lagueux, Pierre Livet, Jean Magnan de Bornier , Yves Meinard , Denis Phan, Emmanuel Picavet, Franck Varenne, Bernard Walliser, Christian Walter, Danielle Zwarthoed.
Le rapport entre positif et normatif est une question méthodologique et théorique centrale en économie. À ce titre, les débats de la littérature spécialisée réclament une synthèse précise, à défaut de la cartographie exhaustive qui paraît une gageure. Le présent ouvrage le reconnaît volontiers en montrant qu'il est pertinent de revenir sur ces enjeux et qu'il est opportun d'élaborer ou d'ouvrir certaines perspectives jusqu'ici peut-être moins explorées.
Le point de vue des coordinateurs de ce volume part du constat que l'étude du rapport entre positif et normatif reste précieuse pour la pensée et la philosophie économiques : l'enquête met en évidence des distinctions essentielles, entre normes, valeurs et faits, ou entre l'activité de description, la prescription et l'évaluation, et concernant des notions comme la causalité dans le champ épistémique, la justice et l'intérêt dans le champ éthique. S'ajoutent des leçons instructives pour penser le rapport entre positif et normatif en défendant la primauté de l'un (le positif, le plus souvent) ou de l'autre (le normatif, plus rarement), ou en les séparant. Force est de constater que les écoles de pensée les plus divergentes peuvent se rejoindre, voire s'accorder sur des positions inattendues. Favoriser le positif, voilà qui réunit des économistes d'écoles de pensée aussi influentes et diverses que les écoles marxiste, autrichienne ou de Chicago : celles-ci, et d'autres, trouvent leur place dans ce volume, ainsi que des approches méthodologiques variées (pragmatisme, bayésianisme, théorie des négociations).
S'il semble qu'un consensus valorisant les approches positives en économie y obère la recherche, à quoi est-il dû ? L'histoire de la pensée économique permet-elle de dégager quelques positions venant nuancer cette position ? Des perspectives philosophiques peuvent être adaptées à cet effet et l'importance des pratiques est également à relever, peut-être pour mieux valoriser les approches normatives en économie.Telles sont quelques-unes des approches traitées dans les onze contributions réunies dans cet ouvrage à partir d'un colloque tenu en décembre 2020.
Une critique récurrente des sciences économiques concerne les présupposés politiques ou éthiques qu'elles sont susceptibles de charrier. Or, il existe aussi des questions économiques sans réponse satisfaisante, non à cause de tels présupposés, mais en raison de préjugés théoriques et épistémologiques que des économistes partagent quoique appartenant à des écoles de pensée divergentes, voire opposées. Cet ouvrage envisage le rapport entre analyse positive des faits socio-économiques et analyse normative des évaluations et prescriptions (sociales, économiques, politiques). Il questionne un point aveugle commun à des penseurs parfois très différents, à savoir leur volonté de résoudre des désaccords quant aux moyens et aux fins, aux actions et aux idéaux sur les institutions publiques non par un progrès de l'économie normative (l'étude scientifique des évaluations et prescriptions normatives) mais par des avancées d'économie positive (analyse des faits dont la science propose la description).Cet ouvrage examine ce présupposé de manière critique chez trois grandes figures de l'histoire de la pensée économique: Karl Marx, Ludwig von Mises et Milton Friedman, qui ont minoré l'étude scientifique des normes en économie. Contre ce pessimisme touchant l'économie normative, attitude qui peine à se justifier et nuit aux positions économiques, politiques et éthiques de ces auteurs mêmes, l'on plaide ici, à partir des méthodologies de John Neville Keynes et de Karl Popper, pour mieux articuler l'économie positive et l'économie normative. C'est à la fois en connaissant mieux l'état positif des problèmes sociaux et en formulant des cadres théoriques pour comparer et critiquer diverses solutions normatives proposées à ces problèmes que des réponses inventives pourront surgir.
Dix ans et une crise économique majeure après sa première publication (aux PUF), le présent ouvrage revient, dans une version revue et augmentée, sur l'urgence d'interroger les sources des critiques du libéralisme afin d'évaluer la pertinence des attaques qui sont portées contre lui. L'appareil conceptuel des matrices des théories critiques est en effet ressaisi au seuil de l'ère industrielle naissante au XIXe ?siècle? : en voyant les pensées marxiste, historiciste, utilitariste (marginaliste) de l'espace continental germanophone prendre l'économie politique classique britannique pour cible, on lit les premiers actes d'un procès dont les attendus n'ont pas encore été tous rendus à l'heure actuelle. Même si la discipline économique a depuis longtemps écarté la « valeur-travail » ou la « monnaie, voile?des échanges réels », il demeure en discussion des principes méthodologiques (atomisme, rôle de l'homo economicus) et des positions pratiques (qui étaient favorables au libre-échangisme, dans l'école de Manchester, ou à la puissance continentale, dans la Nationalökonomie). À l'origine de ces débats se tenaient Marx, Menger et les représentants de l'École historique allemande, opposés au dogme des héritiers de Smith, Ricardo, Say et Mill. « Juste salaire », « valeur-utilité subjective » et « économie du peuple » (Volkswirtschaftslehre) fondèrent les matrices alternatives au classicisme. Leurs échecs patents et leurs potentialités latentes marquèrent la marche de leur siècle, du suivant et orientent encore le nôtre. Si l'économie politique classique appartient sans doute à l'histoire de la pensée économique, si le philosophe a le goût du passé, c'est pour mieux comprendre le présent, et ces matrices critiques fournissent dès lors l'aune à laquelle juger des discours redevenus d'actualité.
Préfaces de Bernard Bourgeois (président de l'Académie des sciences morales et politiques) et de Bertram Schefold (Goethe-Universität, Francfort/Main). Postface de Jean-François Kervégan (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne & Institut Universitaire de France).
Le projet de Philippe Grill est d'enquêter sur les origines et les fondements des doctrines et théories relatives aux libertés et à l'égalité. Son approche est proprement philosophico-économique, au sens où elle s'appuie sur l'une et l'autre discipline. Cette exploration conceptuelle des théories économiques et philosophiques, des hypothèses qui les fondent, des notions qui les irriguent, ou encore des masses de données empiriques aux interprétations multiples, voire contradictoires, se révèle cruciale car c'est à partir de ces doctrines et théories que sont conçues et promues les organisations sociales et les politiques publiques qui déterminent « dans quel monde on vit », en décrétant le possible et l'impossible en ces domaines. L'ouvrage contribue ainsi pleinement aux débats actuels d'éthique sociale en fournissant les moyens de définir ce que pourrait être une organisation sociale « humaniste ».
En effet, si l'on veut changer le monde, il faut le comprendre... Sereinement, pédagogiquement, c'est notamment à cette compréhension maximale que nous invite Philippe Grill. La somme encyclopédique qu'il nous propose déploie le panorama d'une philosophie économique où sont convoqués les savoirs contemporains issus de nombreuses disciplines (outre les sciences économiques bien sûr, les autres sciences sociales, la logique, l'épistémologie, les sciences cognitives, les neurosciences, la biologie de l'évolution, etc., ainsi que les engagements ontologiques des nombreux penseurs que l'ouvrage étudie). Ici, point de simple juxtaposition de disciplines, mais une architecture des connaissances qui veut montrer que les conceptions idoines sont nécessairement connexes si l'on entend démêler l'écheveau d'un homo oeconomicus authentique, renversant le modèle factice que rabâchent les propagandistes de vulgates économiques outrancièrement simplistes et irréalistes. Ainsi, ce livre est un puissant levier de ce mouvement salutaire.
Cet ouvrage de 2?400 pages se compose du tome 1, volume 1 ici présenté (volume 2 à paraître en 2017) et des 3 volumes du tome 2 à paraître en 2018.