C'était en janvier 2003.
Dans notre boîte aux lettres, au milieu des traditionnelles cartes de voeux, se trouvait une carte postale étrange.
Elle n'était pas signée, l'auteur avait voulu rester anonyme.
L'Opéra Garnier d'un côté, et de l'autre, les prénoms des grands-parents de ma mère, de sa tante et son oncle, morts à Auschwitz en 1942.
Vingt ans plus tard, j'ai décidé de savoir qui nous avait envoyé cette carte postale. J'ai mené l'enquête, avec l'aide de ma mère. En explorant toutes les hypothèses qui s'ouvraient à moi. Avec l'aide d'un détective privé, d'un criminologue, j'ai interrogé les habitants du village où ma famille a été arrêtée, j'ai remué ciel et terre. Et j'y suis arrivée.
Cette enquête m'a menée cent ans en arrière. J'ai retracé le destin romanesque des Rabinovitch, leur fuite de Russie, leur voyage en Lettonie puis en Palestine. Et enfin, leur arrivée à Paris, avec la guerre et son désastre.
J'ai essayé de comprendre comment ma grand-mère Myriam fut la seule qui échappa à la déportation. Et éclaircir les mystères qui entouraient ses deux mariages. J'ai dû m'imprégner de l'histoire de mes ancêtres, comme je l'avais fait avec ma soeur Claire pour mon livre précédent, Gabriële.
Ce livre est à la fois une enquête, le roman de mes ancêtres, et une quête initiatique sur la signification du mot « Juif » dans une vie laïque.
Depuis l'enfance, une question torture le narrateur :
- Qu'as-tu fait sous l'occupation ?
Mais il n'a jamais osé la poser à son père.
Parce qu'il est imprévisible, ce père. Violent, fantasque. Certains même, le disent fou. Longtemps, il a bercé son fils de ses exploits de Résistant, jusqu'au jour où le grand-père de l'enfant s'est emporté : «Ton père portait l'uniforme allemand. Tu es un enfant de salaud ! » En mai 1987, alors que s'ouvre à Lyon le procès du criminel nazi Klaus Barbie, le fils apprend que le dossier judiciaire de son père sommeille aux archives départementales du Nord. Trois ans de la vie d'un « collabo », racontée par les procès-verbaux de police, les interrogatoires de justice, son procès et sa condamnation.
Le narrateur croyait tomber sur la piteuse histoire d'un « Lacombe Lucien » mais il se retrouve face à l'épopée d'un Zelig. L'aventure rocambolesque d'un gamin de 18 ans, sans instruction ni conviction, menteur, faussaire et manipulateur, qui a traversé la guerre comme on joue au petit soldat. Un sale gosse, inconscient du danger, qui a porté cinq uniformes en quatre ans. Quatre fois déserteur de quatre armées différentes. Traître un jour, portant le brassard à croix gammée, puis patriote le lendemain, arborant fièrement la croix de Lorraine.
En décembre 1944, recherché par tous les camps, il a continué de berner la terre entière.
Mais aussi son propre fils, devenu journaliste.
Lorsque Klaus Barbie entre dans le box, ce fils est assis dans les rangs de la presse et son père, attentif au milieu du public.
Ce n'est pas un procès qui vient de s'ouvrir, mais deux. Barbie va devoir répondre de ses crimes. Le père va devoir s'expliquer sur ses mensonges.
Ce roman raconte ces guerres en parallèle.
L'une rapportée par le journaliste, l'autre débusquée par l'enfant de salaud.
C'est une suite de lettres entre amis qui se sauvent la vie. Dans ce roman épistolaire, Virginie Despentes revient sur le thème qui unit tous ses livres - comment l'amitié peut naître entre personnes qui n'ont à priori rien à faire ensemble.
Rebecca a dépassé la cinquantaine, elle est actrice, elle est toujours aussi séduisante. Oscar a quarante-trois ans, il est un auteur un peu connu, il écoute du rap en essayant d'écrire un nouveau livre. Ils sont des transfuges de classe que la bourgeoisie n'épate guère. Ils ont l'un comme l'autre grandi et vieilli dans la culture de l'artiste défoncé tourmenté et sont experts en polytoxicomanie, mais pressentent qu'il faudrait changer leurs habitudes. Zoé n'a pas trente ans, elle est féministe, elle ne veut ni oublier ni pardonner, elle ne veut pas se protéger, elle ne veut pas aller bien. Elle est accro aux réseaux sociaux - ça lui prend tout son temps.
Ces trois-là ne sont pas fiables. Ils ont de grandes gueules et sont vulnérables, jusqu'à ce que l'amitié leur tombe dessus et les oblige à baisser les armes.
Il est question de violence des rapports humains, de postures idéologiques auxquelles on s'accroche quand elles échouent depuis longtemps à saisir la réalité, de la rapidité et de l'irréversibilité du changement. Roman de rage et de consolation, de colère et d'acceptation, Cher connard présente une galerie de portraits d'êtres humains condamnés à bricoler comme ils peuvent avec leurs angoisses, leurs névroses, leurs addictions aux conflits de tous ordres, l'héritage de la guerre, leurs complexes, leurs hontes, leurs peurs intimes et finalement - ce moment où l'amitié est plus forte que la faiblesse humaine.
L'étau des obsessions identitaires, des tribalismes d'exclusion et des compétitions victimaires se resserre autour de nous. Il est vissé chaque jour par tous ceux qui défendent l'idée d'un « purement soi », et d'une affiliation « authentique » à la nation, l'ethnie ou la religion. Nous étouffons et pourtant, depuis des années, un homme détient, d'après l'auteure, une clé d'émancipation : Emile Ajar.
Cet homme n'existe pas... Il est une entourloupe littéraire, le nom que Romain Gary utilisait pour démontrer qu'on n'est pas que ce que l'on dit qu'on est, qu'il existe toujours une possibilité de se réinventer par la force de la fiction et la possibilité qu'offre le texte de se glisser dans la peau d'un autre. J'ai imaginé à partir de lui un monologue contre l'identité, un seul-en-scène qui s'en prend violemment à toutes les obsessions identitaires du moment.
Dans le texte, un homme (joué sur scène par une femme...) affirme qu'il est Abraham Ajar, le fils d'Emile, rejeton d'une entourloupe littéraire. Il demande ainsi au lecteur/spectateur qui lui rend visite dans une cave, le célèbre « trou juif » de La Vie devant soi : es-tu l'enfant de ta lignée ou celui des livres que tu as lus ? Es-tu sûr de l'identité que tu prétends incarner ?
En s'adressant directement à un mystérieux interlocuteur, Abraham Ajar revisite l'univers de Romain Gary, mais aussi celui de la kabbale, de la Bible, de l'humour juif... ou encore les débats politiques d'aujourd'hui (nationalisme, transidentité, antisionisme, obsession du genre ou politique des identités, appropriation culturelle...).
Le texte de la pièce est précédé d'une préface Delphine Horvilleur sur Romain Gary et son oeuvre. Dans chacun des livres de Gary se cachent des « dibbouks », des fantômes qui semblent s'échapper de vieux contes yiddish, ceux d'une mère dont les rêves l'ont construit, ceux d'un père dont il invente l'identité, les revenants d'une Europe détruite et des cendres de la Shoah, ou l'injonction d'être un « mentsch », un homme à la hauteur de l'Histoire.
« J'avais 6 ans lorsque Gary s'est suicidé, l'âge où j'apprenais à lire et à écrire. Il m'a souvent semblé, dans ma vie de lectrice puis d'écrivaine que Gary était un de mes « dibbouks » personnels... Et que je ne cessais de redécouvrir ce qu'il a su magistralement démontrer : l'écriture est une stratégie de survie. Seule la fiction de soi, la réinvention permanente de notre identité est capable de nous sauver. L'identité figée, celle de ceux qui ont fini de dire qui ils sont, est la mort de notre humanité. »
Au coeur de l'Allemagne, l'International Tracing Service est le plus grand centre de documentation sur les persécutions nazies. La jeune Irène y trouve un emploi en 1990 et se découvre une vocation pour le travail d'investigation. Méticuleuse, obsessionnelle, elle se laisse happer par ses dossiers, au regret de son fils qu'elle élève seule depuis son divorce d'avec son mari allemand.
A l'automne 2016, Irène se voit confier une mission inédite : restituer les milliers d'objets dont le centre a hérité à la libération des camps. Un Pierrot de tissu terni, un médaillon, un mouchoir brodé... Chaque objet, même modeste, renferme ses secrets. Il faut retrouver la trace de son propriétaire déporté, afin de remettre à ses descendants le souvenir de leur parent. Au fil de ses enquêtes, Irène se heurte aux mystères du Centre et à son propre passé. Cherchant les disparus, elle rencontre ses contemporains qui la bouleversent et la guident, de Varsovie à Paris et Berlin, en passant par Thessalonique ou l'Argentine. Au bout du chemin, comment les vivants recevront-ils ces objets hantés ?
Le bureau d'éclaircissement des destins, c'est le fil qui unit ces trajectoires individuelles à la mémoire collective de l'Europe. Une fresque brillamment composée, d'une grande intensité émotionnelle, où Gaëlle Nohant donne toute la puissance de son talent.
« Qu'importe l'éternité de la damnation à qui a trouvé dans une seconde l'infini de la jouissance. » (Baudelaire) Tel serait l'esprit de cette saga lapidaire - un siècle de fureur et de sang que va traverser Valdas Bataeff en affrontant, tout jeune, les événements tragiques de son époque.
Au plus fort de la tempête, il parvient à s'arracher à la cruauté du monde : un amour clandestin dans une parenthèse enchantée, entre l'ancien calendrier de la Russie impériale et la nouvelle chronologie imposée par les « constructeurs de l'avenir radieux ».
Chef-d'oeuvre de concision, ce roman sur la trahison, le sacrifice et la rédemption nous fait revivre, à hauteur d'homme, les drames de la grande Histoire : révolutions, conflits mondiaux, déchirements de l'après-guerre. Pourtant, une trame secrète, au-delà des atroces comédies humaines, nous libère de leur emprise et rend infinie la fragile brièveté d'un amour blessé.
« J'avais envie d'amour. Envie d'une grande nuit d'amour. D'une rencontre. De ce moment étrange, poétique parfois, qui change le cours de l'eau d'une vie.
Je voulais comprendre jusqu'où l'on peut aimer, jusqu'où l'on peut aller vers l'autre et ressentir que chaque pas est un choix. Je rêvais d'entendre à nouveau quelques airs d'opéra, des arias de douleur et de beauté, et retrouver ces hommes et femmes capables de se jeter dans le vide par amour. Parce que c'est vivre sans amour qui est l'enfer. » G.D.
Elle s'appelle Aurore. Et pourtant c'est au crépuscule qu'elle rencontre Simeone, un soir d'automne, à Paris, aux abords du local d'un groupe de parole. Elle quitte une réunion, lui arrive pour la suivante. Il attend, l'observe, intrigué, mais c'est elle qui s'adresse à lui. Le temps d'une cigarette, la conversation s'engage.
Après trente ans d'amour fou, Aurore sait qu'elle va être quittée par son mari. Simeone a la gorge mangée par un crabe, il lui reste peu de temps à vivre, il refuse de lutter et sa femme a peur. Alors les deux inconnus s'avancent ensemble dans une nuit qui ne ressemblera à nulle autre, des rues de Paris à un bar de nuit, d'une chambre d'hôtel à un aller-retour en taxi vers Roissy et une évasion vers les rivages de l'aube. Première ou dernière nuit, tous deux l'ignorent. Ils ne sont sûrs que d'une chose : au matin, après cette bouleversante nuit d'amour, rien ne sera plus jamais comme avant. Car l'amour ne s'écrit jamais à l'avance.
Romanesque, poétique, fulgurant : un magnifique roman d'amour.
« J'ai compris depuis ce qui motiverait mon chemin d'écrivain. Présenter à l'adulte que je suis devenu l'enfant que je fus. » Dans Mon père, publié en 2019, Grégoire Delacourt peignait un père venu demander des comptes à un prêtre coupable d'abus envers son jeune fils. Catalyseur d'émotions enfouies, le livre allait faire ressurgir des souffrances muettes et conduire son auteur a une enquête introspective profonde. Remontant enfin à la source de son enfance saccagée, Grégoire Delacourt la fait revivre dans L'enfant réparé, poignant récit autobiographique où il se livre pour la première fois.
L'enfant réparé raconte un corps abîmé et les livres qui l'ont réparé, ce corps qui très jeune a subi l'étourdissement dans le Valium ou autres médicaments et se perçoit comme un déchet. L'écriture lui permet d'abord de subsister, de fuir sa famille et ses souvenirs, avant de devenir une démarche créatrice jalonnée des traces cachées de ses douleurs enfantines.
Pourquoi le petit garçon qu'il était rêvait-il au soulagement de sauter par la fenêtre ? Qui était ce père, absent et bourreau ? Cette mère adorée fuyait-elle son propre enfant, ou bien faisait-elle tout pour le protéger ?
L'enfant réparé est l'histoire d'une enfance abusée, d'une famille où l'on porte le déni comme une armure, et un éclairage unique sur le parcours d'un écrivain. « Le jour où j'ai appris que j'étais une victime, je me suis senti vivant. » Dans un style acéré, précis, un regard sur soi d'une rare lucidité. Bouleversant.
« De l'âge de 6 ans à celui de 20 ans, j'ai passé toutes mes vacances dans un Home d'enfants situé dans une vallée paradisiaque, en Suisse. Une vie à la dure, des heures de marche dans la montagne, des punitions, des frites : tout me plaisait. Le chalet était tenu par Karl et Anne-Marie Ammann, avec leurs enfants Patou et Vava. Ils ont été ma famille d'adoption alors que mes parents étaient absents. Trente ans après, je suis retournée dans la vallée. Je l'ai retrouvée intacte. J'ai commencé à écrire un livre, je souhaitais qu'il soit tendre et pur comme ce passé. Et voilà que commençant ce livre, j'ai appris qu'il y avait eu mensonge au paradis. Patou était en prison pour escroquerie, il avait passé sa vie à mentir et à voler. Sa soeur Vava, mon amie d'enfance, souffre de délires paranoïaques. Elle est schizophrène, ne sort plus de chez elle, passe ses journées sur les réseaux sociaux. Sidérée, j'ai enquêté de manière obsessionnelle. Que leur est-il arrivé ? Pourquoi ont-ils renoncé à la réalité pour vivre au pays du mensonge ? Mais répondre à ces questions n'était pas suffisant. Pour écrire enfin la vérité, avoir la force de l'accepter, il fallait que je me regarde en face. Pourquoi, alors que j'avais été si heureuse dans cette vallée, n'y étais-je jamais retournée ? Il a fallu que je termine une première fois ce livre pour admettre mon aveuglement. Moi aussi je mentais. En enquêtant sur le passé des autres, j'ai pu ouvrir les yeux sur le mien. Je devais tout réécrire, en acceptant la face triste de ma propre enfance, la face violente de ma vie d'adulte. Est-ce que mes livres précédents n'étaient pas des fictions alors que j'avais l'ambition d'écrire la vérité ? S'il faut « un coeur d'airain » pour accepter la réalité, j'étais enfin prête à le faire. » Colombe Schneck
Alec, dessinateur d'âge mûr, et Ève, romancière à succès d'un unique livre mythique, sont les seuls occupants d'un minuscule îlot de la côte atlantique. Ils ne se fréquentent pas, jusqu'au jour où une panne inexplicable de tous les moyens de communication les contraint à sortir de leur jalouse solitude.
Comment s'explique ce black-out ? La planète aurait-elle été victime d'un cataclysme ? Des menaces de conflit nucléaire et de terrorisme à grande échelle planaient déjà. Y aurait-il eu, quelque part dans le monde, un dérapage dévastateur ? Qu'en est-il de l'archipel tout proche ? Et du pays ? Et du reste de la planète ?
Alec va peu à peu dénouer le fil du mystère. Grâce à son vieil ami Moro, devenu l'un des proches conseillers du Président des Etats-Unis, il parvient à reconstituer le déroulement précis des événements. Si l'on a échappé au désastre, découvre-t-il, c'est d'une manière si étrange, et si inespérée, que l'Histoire ne pourra plus jamais reprendre son cours d'avant.
La rencontre tumultueuse de nos contemporains déboussolés avec des « frères inattendus » qui se réclament de la Grèce antique, et qui ont su se doter d'un savoir médical beaucoup plus avancé que le nôtre, fait la puissance dramatique de ce roman, tout en lui donnant des allures de conte moderne.
A travers la fiction et la parabole, l'auteur traite ici de manière romanesque les grands sujets abordés dans plusieurs de ses essais (Les identités meurtrières, Le naufrage des civilisations).
A travers l'histoire d'une amitié adolescente, Makine révèle dans ce véritable bijou de littérature classique un épisode inoubliable de sa jeunesse.
Le narrateur, treize ans, vit dans un orphelinat de Sibérie à l'époque de l'empire soviétique finissant. Dans la cour de l'école, il prend la défense de Vardan, un adolescent que sa pureté, sa maturité et sa fragilité désignent aux brutes comme bouc-émissaire idéal. Il raccompagne chez lui son ami, dans le quartier dit du « Bout du diable » peuplé d'anciens prisonniers, d'aventuriers fourbus, de déracinés égarés «qui n'ont pour biographie que la géographie de leurs errances. » Il est accueilli là par une petite communauté de familles arméniennes venues soulager le sort de leurs proches transférés et emprisonnés en ce lieu, à 5 000 kilomètres de leur Caucase natal, en attente de jugement pour « subversion séparatiste et complot anti-soviétique » parce qu'ils avaient créé une organisation clandestine se battant pour l'indépendance de l'Arménie.
De magnifiques figures se détachent de ce petit « royaume d'Arménie » miniature : la mère de Vardan, Chamiram ; la soeur de Vardan, Gulizar, belle comme une princesse du Caucase qui enflamme tous les coeurs mais ne vit que dans la dévotion à son mari emprisonné ; Sarven, le vieux sage de la communauté...
Un adolescent ramassant sur une voie de chemin de fer une vieille prostituée avinée qu'il protège avec délicatesse, une brute déportée couvant au camp un oiseau blessé qui finira par s'envoler au-dessus des barbelés : autant d'hommages à ces « copeaux humains, vies sacrifiées sous la hache des faiseurs de l'Histoire. » Le narrateur, garde du corps de Vardan, devient le sentinelle de sa vie menacée, car l'adolescent souffre de la « maladie arménienne » qui menace de l'emporter, et voilà que de proche en proche, le narrateur se trouve à son tour menacé et incarcéré, quand le creusement d'un tunnel pour une chasse au trésor, qu'il prenait pour un jeu d'enfants, est soupçonné par le régime d'être une participation active à une tentative d'évasion...
Ce magnifique roman convoque une double nostalgie : celle de cette petite communauté arménienne pour son pays natal, et celle de l'auteur pour son ami disparu lorsqu'il revient en épilogue du livre, des décennies plus tard, exhumer les vestiges du passé dans cette grande ville sibérienne aux quartiers miséreux qui abritaient, derrière leurs remparts, l'antichambre des camps.
Un soir, une jeune chienne, traînant une sale histoire avec sa chaîne brisée, surgit à la porte d'un vieux couple : Sophie, romancière, qui aime la nature et les marches en forêt et son compagnon Grieg, déjà sorti du monde, dormant le jour et lisant la nuit, survivant grâce à la littérature.
D'où vient cette bête blessée ? Qu'a-t-elle vécu ? Est-on à sa poursuite ?
Son irruption va transformer la vieillesse du monde, celle d'un couple, celle d'une femme, en ode à la vie, nous montrant qu'un autre chemin est possible.
Un chien à ma table relie le féminin révolté et la nature saccagée : si notre époque inquiétante semble menacer notre avenir et celui des livres, les poètes des temps de détresse sauvent ce qu'il nous reste d'humanité.
Vérone, 1978. Renato, sept ans, entretient avec son père une relation merveilleuse, que bouleverse l'enlèvement de l'homme d'affaires par un commando des Brigades rouges. Lorsqu'elles le relâchent après paiement d'une rançon, il n'est plus qu'une ombre. Laminé, honteux, il met fin à ses jours. Renato et sa mère s'exilent en Suisse. Le jeune garçon y développe le goût des hautes cimes et celui du théâtre, où il excelle. Mal entendant, il se sent à l'aise dans cet univers où les mots sont connus par avance et où son handicap peut être caché. Dix ans plus tard, pour sa dernière année de scolarité, il est inscrit dans un internat de Lausanne. Il y vit des moments difficiles, croise le professeur Paolo Mantegazza, un Italien, responsable des activités théâtrales, comme lui passionné de haute montagne. Une amitié elle aussi merveilleuse s'établit entre les deux, faite d'admiration réciproque et de grande estime. Renato voit en lui un père de substitution. Très vite, pourtant, on apprend que Paolo Mantegazza n'est nul autre que Paolo Rivolta, un ancien des Brigades rouges dont il était le principal théoricien. Onze ans plus tôt, c'était lui qui avait machiné l'enlèvement du père de Renato.
Que va faire le maître ? Comment va réagir l'élève ? Qu'adviendra-t-il de cette amitié foudroyée ? Quel jeu jouera la belle Josy, maîtresse de l'Italien, qui enseigne le hip-hop à l'Institut ? Une paternité peut-elle se reconstruire ?
Un couple qui dure serait-il la plus grande aventure des temps modernes ?
Alice et Jules vivent ensemble depuis soixante ans.
Par un tour de force littéraire, Eliette Abécassis remonte le cours de leur relation amoureuse, étape par étape, pour nous en révéler les nuances, les rêves, les désirs, les trahisons et les regrets.
Vieillesse, routine, retrouvailles, désamour, haine, jalousie, enfants, mariage, passion : le film défile à l'envers, par une série de rebondissements, passant de l'ère des réseaux sociaux à la chute du mur de Berlin, Mai 68, la guerre d'Algérie...
Voici le roman de l'amour pérenne, envers et contre tout : Un remède au cynisme et à la solitude de notre époque.
L'histoire commence en Espagne, par deux naissances et deux abandons. En juin 1943, une prostituée obèse de Bilbao donne vie à un garçon qu'elle confie aux jésuites. Un peu plus tard, en Galice, une femme accouche d'une fille et la laisse aux soeurs d'un couvent. Elle revient la chercher dix ans après. L'enfant est belle comme le diable, jamais elle ne l'aimera.
Le garçon, c'est Julian. La fille, Victoria. Ce sont le père et la mère de Maria, notre narratrice.
Dans la première partie du roman, celle-ci déroule en parallèle l'enfance de ses parents et la sienne. Dans un montage serré champ contre champ, elle fait défiler les scènes et les années : Victoria et ses dix frères et soeurs, l'équipe de foot du malheur ; Julian fuyant l'orphelinat pour s'embarquer en mer. Puis leur rencontre, leur amour et leur départ vers la France. La galicienne y sera femme de ménage, le fils de pute, gardien du théâtre de la Michodière. Maria grandit là, parmi les acteurs, les décors, les armes à feu de son père, basque et révolutionnaire, buveur souvent violent, les silences de sa mère et les moqueries de ses amies. Mais la fille d'immigrés coude son destin. Elle devient réalisatrice, tombe amoureuse, fonde un foyer, s'extirpe de ses origines. Jusqu'à ce que le sort l'y ramène brutalement. A vingt-sept ans, une tarologue prétend qu'elle ne serait pas la fille de ses parents. Pour trouver la vérité, il lui faudra retourner à Bilbao, la ville où elle est née. C'est la seconde partie du livre, où se révèle le versant secret de la vie des protagonistes au fil de l'enquête de la narratrice.
Stupéfiant de talent, d'énergie et de force, Les gens de Bilbao naissent où ils veulent nous happe dès le premier mot. Avec sa plume enlevée, toujours tendue, pleine d'images et d'esprit, Maria Larrea reconstitue le puzzle de sa mémoire familiale et nous emporte dans le récit de sa vie, plus romanesque que la fiction. Une histoire d'orphelins, de mensonges et de filiation trompeuse. De corrida, d'amour et de quête de soi. Et la naissance d'une écrivaine.
Lorsqu'elle reçoit un message lui annonçant qu'on a retrouvé sa mère, disparue trente ans plus tôt, Magdalena n'hésite pas. Elle prend la route pour le Sud-Ouest, vers la maison éclusière dont on lui a donné l'adresse, en bordure de canal.
Comédienne réputée, elle a vécu toutes ces années sans rien savoir d'Apollonia. Magdalena a incarné des personnages afin de ne pas sombrer, de survivre à l'absence. Dès lors que les retrouvailles avec sa mère approchent, elle est à nu, dépouillée, ouverte à tous les possibles.
Revenir à toi, c'est son voyage vers Apollonia. Un voyage intérieur aussi, vers son enfance, son père, ses grands-parents, ses amours. Un voyage charnel, parenthèse furtive et tendre avec un jeune homme de la région. Lentement se dévoile un secret ancien et douloureux, une omission tacitement transmise.
Revenir à toi, c'est aussi un hommage à Antigone et aux grands mythes littéraires qui nous façonnent. Magdalena a donné vie à des personnages, elle est devenue leur porte-voix. Devant Apollonia, si lointaine et si fragile, sa voix intérieure se fait enfin entendre, inquiète mais déterminée à percer l'énigme de son existence.
En l'espace de quelques jours, dans cette maison délaissée, Magdalena suit un magnifique chemin de réconciliation avec l'autre et avec elle-même. Vie rêvée et vie vécue ne font désormais qu'une.
Victime d'un AVC, un romancier de 71 ans est en panne, tétanisé, incapable d'écrire une ligne. La commande d'une mini-série sur les Rolling Stones par des producteurs en vue est un miracle inespéré. Il accepte sans hésiter, lui qui méprise les biopics, le milieu du cinéma et les inusables clichés sur les années pop. Voilà l'apprenti scénariste lancé dans un projet sur la première époque des Stones, entre l'arrestation de Keith Richards et Mick Jagger pour usage de stupéfiants, en 1967, et la mort stupéfiante de Brian Jones, en 1969. Intitulée Satanic Majesties, la série montrera comment des voyous, compilateurs de musique afro-américaine, devinrent en l'espace de deux ans les stars androgynes que l'on sait.
Apaisé, le septuagénaire peut poursuivre la passion scandaleuse qu'il partage avec Esther, sa ravissante belle-fille de 23 ans. Mais tous deux le savent, leur amour sera éphémère. Il ne durera que ce que durera chez elle la beauté du diable, tandis que ses forces à lui déclinent tout aussi diaboliquement. D'où la coloration sombre et émouvante de leur histoire ; d'où la souffrance que leur cause la moindre séparation.
L'écrivain de nouveau inspiré se prend au jeu de Satanic majesties. Par la grâce d'Esther, il renoue avec une part d'innocence et fait ressurgir Marianne Faithfull, Anita Pallenberg ou Brian Jones de l'abîme du temps. Et si l'innocence de l'homme s'enfuit avec les années, l'exceptionnel brio de ce roman prouve si besoin était le souffle éblouissant de Simon Liberati. Parfois burlesque, souvent bouleversante, addictive, effrénée, la plus belle aventure d'un écrivain saisissant au vol les dernières bribes que la vie lui accorde.
Paris, 1950. Eliza Donneley se cache sous un nom d'emprunt dans un hôtel miteux. Elle a abandonné brusquement une vie dorée à Chicago, un mari fortuné et un enfant chéri, emportant quelques affaires, son Rolleiflex et la photo de son petit garçon. Pourquoi la jeune femme s'est-elle enfuie au risque de tout perdre ?
Vite dépouillée de toutes ressources, désorientée, seule dans une ville inconnue, Eliza devenue Violet doit se réinventer. Au fil des rencontres, elle trouve un job de garde d'enfants et part à la découverte d'un Paris où la grisaille de l'après-guerre s'éclaire d'un désir de vie retrouvé, au son des clubs de jazz de Saint-Germain-des-Prés. A travers l'objectif de son appareil photo, Violet apprivoise la ville, saisit l'humanité des humbles et des invisibles.
Dans cette vie précaire et encombrée de secrets, elle se découvre des forces et une liberté nouvelle, tisse des amitiés profondes et se laisse traverser par le souffle d'une passion amoureuse.
Mais comment vivre traquée, déchirée par le manque de son fils et la douleur de l'exil ? Comment apaiser les terreurs qui l'ont poussée à fuir son pays et les siens ? Et comment, surtout, se pardonner d'être partie ?
Vingt ans plus tard, au printemps 1968, Violet peut enfin revenir à Chicago. Elle retrouve une ville chauffée à blanc par le mouvement des droits civiques, l'opposition à la guerre du Vietnam et l'assassinat de Martin Luther King. Partie à la recherche de son fils, elle est entraînée au plus près des émeutes qui font rage au coeur de la cité. Une fois encore, Violet prend tous les risques et suit avec détermination son destin, quels que soient les sacrifices.
Au fil du chemin, elle aura gagné sa liberté, le droit de vivre en artiste et en accord avec ses convictions. Et, peut-être, la possibilité d'apaiser les blessures du passé. Aucun lecteur ne pourra oublier Violet-Eliza, héroïne en route vers la modernité, vibrant à chaque page d'une troublante intensité, habitée par la grâce d'une écriture ample et sensible.
« Quand le malheur nous prend pour cible, il faut parvenir à se souvenir qu'on a goûté à la douce, à l'ineffable joie. Tu resteras mon plus beau voyage, abordé sans guide, les yeux fermés. Ta présence et ton absence convergent dans mon coeur. Je sais désormais que je pourrai toujours te trouver en moi. Ceci est à nous. » Un seul être vous manque et tout est dépeuplé sauf quand cet être s'appelle Gaspard Ulliel, qu'il est un acteur mondialement connu, fauché dans un accident de ski à 37 ans. Gaëlle Pietri s'adresse à l'homme qu'elle a aimé. Lorsque Gaspard s'effondre dans la neige, ils viennent ensemble de fêter les six ans de leur fils Orso. C'est pour lui qu'elle raconte. Les premiers instants partagés, l'amour, la séparation, la douleur et la colère face à la perte, fragments de vie dans lesquels il pourra retrouver son père quand il le voudra.
Dans la lignée des plus beaux textes sur le deuil de Rilke à Didion, Gaëlle Pietri nous livre son premier récit, lettre poignante d'une implacable honnêteté sur le chagrin le plus indicible et la rédemption par l'écriture.
Acre, quartier juif, 1078. Avner, qui a quatorze ans, pêche avec son père. À l'occasion d'une livraison à un monastère, son regard tombe sur une icône. C'est l'éblouissement. « Il ne s'agit pas d'un portrait mais d'un objet sacré, lui dit le supérieur du monastère. On ne peint pas une icône, on l'écrit, et on ne peut le faire qu'en ayant une foi profonde ».
Avner n'aura de cesse de pouvoir « écrire ». Et tant pis s'il n'a pas la foi, il fait comme si, acquiert les techniques, apprend les textes sacrés, se fait baptiser, quitte les siens. Mansour, un marchand ambulant musulman, le prend sous son aile. C'est l'occasion d'un merveilleux voyage initiatique d'Acre à Nazareth, de Césarée à Jérusalem, puis à Bethlehem, jusqu'au monastère de Mar Saba, en plein désert de Judée, où Avner reste dix années où il devient l'un des plus grands iconographes de Palestine.
Refusant de s'astreindre aux canons rigides de l'Eglise qui obligent à ne représenter que Dieu et les saints, il ose reproduire des visages de gens de la vie ordinaire, cherchant dans chaque être sa part de divin, sa beauté. C'est un triomphe, c'est un scandale. Se prend-il pour un prophète ? Il est chassé, son oeuvre est brûlée. Quel sera le destin final d'un homme qui a osé défier l'ordre établi ?
Le roman de l'artiste qui, envers et contre tous les ordres établis, tente d'apporter de la grâce au monde.
Pénélope, la fameuse enquêtrice-conservatrice du Mobilier national, reçoit pour mission de moderniser le fort de Brégançon. Elle y est rejointe par son éternel amoureux, Wandrille, le pigiste qu'elle entraîne dans le plus improbable rôle d'adjoint au cours de ses enquêtes. On leur annonce l'arrivée d'un chef d'État étranger, opéré à l'hôpital de Nice, qui doit passer une semaine de convalescence. Ce qui s'annonçait comme un séjour paisible se transforme en une rocambolesque aventure. Quel mystérieux lien peut-t-il y avoir entre le paisible fort servant de résidence d'été aux présidents de la République française et la Résistance ?
Une guide-conférencière amie de la mère de Pénélope passionne les visiteurs en racontant les parties de pétanque qui s'y jouaient entre le couple Pompidou et Françoise Sagan, mais aussi comment, à la fin de la guerre, un certain capitaine de Leusse, résistant à la tête d'un petit groupe d'hommes, a pris ce bastion aux Allemands. Et c'est cette inoffensive savante que l'on retrouve poignardée dans la cour intérieure d'un lieu parfaitement clos relié à la côte par une digue très surveillée ! Le suspect ? Wandrille, qu'un détail stupide semble accuser. Pour le défendre, Pénélope va s'intéresser aux secrets du fort. De quelle infirmation cruciale la guide était-elle la dépositaire ? Pourquoi le général de Gaulle a-t-il voulu doter la présidence de cette résidence balnéaire - où il était impossible de se baigner - et où lui-même ne résida qu'une nuit ? A quoi sert réellement le fort de Brégançon ?
Pour écrire ce roman, Adrien Goetz a reçu l'autorisation exceptionnelle de visiter l'intégralité du fort, des appartements privés du président aux caves creusées dans le rocher. Il a eu accès aux très discrets entrepôts où, aux environs de Paris, sont conservées les pièces du Mobilier national qui en proviennent. Il a parlé aux descendants du capitaine de Leusse. Une aventure de Pénélope où se mêlent histoire de l'art et grande Histoire.
Apostille au livre d'entretiens entre Umberto Eco et Jean-Claude Carrière dont Jean-Philippe de Tonnac avait été l'initiateur obstiné et l'accoucheur inspiré, publié en 2009 sous le titre N'espérez pas vous débarrasser des livres et traduit depuis dans vingt-six langues, Un été chez Umberto Eco nous fait pénétrer dans les coulisses des rencontres, nous livrant à la fois le portrait des protagonistes, la description des lieux, la nature des conversations - bref, tout le « hors champ » de ce que le premier ouvrage ne pouvait révéler, et les perles de conversation qui n'avaient pu y être retenues.
Nous assistons ici à la danse de séduction de l'auteur auprès des deux monstres sacrés pour les convaincre de dialoguer sur les cinq mille ans d'histoire du livre, du papyrus au fichier électronique ; la visite initiatique à Milan où le « Professore » ouvre au profane sa « salle des coffres », collection de livres rares consacrés aux sciences occultes, fausses, farfelues, et aux langues imaginaires ; les premières journées de travail chez Jean-Claude Carrière à Paris ; et enfin cet été à Monte Cerignone, la maison de vacances d'Umberto Eco, où tout crépite et étincelle, du salon des joutes oratoires à la piscine et des promenades aux repas.
Quel est le plus beau livre du monde ? Pourquoi un livre est-il un incunable avant le 31 décembre 1500, un « simple » livre après ? Le collectionneur passionné est-il davantage guidé par la quête ou par la possession ? En quoi la bêtise est-elle fascinante et quelles en sont les différentes formes ? Pourquoi le livre va survivre à toutes les métamorphoses induites par la technique et en quoi est-il, pour l'éternité, un vecteur de liberté ?
Voici quelques-unes des questions qui parcourent cet ouvrage où deux puits de culture et d'esprit rivalisent de gai savoir, d'érudition joyeuse, de plaisirs des sens et de l'esprit. Un vade mecum délicieux par nos temps d'obscurantisme galopant.
« Je ne respecte les règles d'aucun romancier » affirme Chahdortt Djavann. En effet, la voilà qui entre et sort de manière virtuose de son roman, comme si elle franchissait les frontières d'un pays. Narratrice de sa fiction, elle en devient aussi un des personnages.
Après « faute de naissance », un premier chapitre intime où l'auteur confesse son « indélicatesse d'être née sans pénis après un frère mort », elle nous raconte, de Téhéran à Ispahan, le destin de plusieurs femmes qui paient un prix effroyable pour avoir joué autour d'une fontaine, refusé un mariage arrangé en vivant un amour homosexuel, ôté son voile en public ou tenu tête à un mari puissant.
Dans le dernier chapitre aux allures de conte, l'auteur traverse l'Europe, l'Arménie et l'Azerbaïdjan et rentre clandestinement dans son Iran natal, au risque d'être arrêtée comme espionne. Elle y retrouve deux cousines, devenues grandes résistantes, qui vont changer le cours de l'Histoire.
Voici le roman le plus atypique, le plus poétique et le plus audacieux de Chahdortt Djavann dont la plume, limpide et puissante, nous surprend et nous transporte.
Il y a 230 ans, le 13 juillet 1793, Marie Anne Charlotte de Corday d'Armont, 24 ans, assassinait l'ami du peuple Jean-Paul Marat. Quatre jours plus tard, elle était guillotinée.
Figure aujourd'hui figée des manuels scolaires, « ange de l'assassinat » pour Lamartine, qui était vraiment Charlotte Corday ? Jeune femme fragile instrumentalisée par les forces de la réaction ou héroïne en quête de liberté ? Criminelle aveugle ou redresseuse des torts de la Révolution ? Martyre, bourreau, féministe avant la lettre ?
Lointaine cousine fascinée par cette parente, Astrid de Laage s'est plongée dans l'histoire. Elle interroge son propre rapport à la noblesse, au lignage, aux contraintes sociales si oppressantes pour une jeune femme du XVIIIe siècle. Et elle retrace le chemin qui aura mené Charlotte de Caen jusqu'à Paris, ce fatal soir de juillet. Imprégnée de littérature antique et d'idéal romantique, républicaine proche des Girondins, révulsée par la tyrannie sanguinaire qu'illustre Marat, Charlotte passe à l'action. Elle assumera totalement son geste, affrontera sur l'échafaud la haine populaire, persuadée de sauver son pays.
Astrid de Laage donne une présence sensible à Charlotte mais aussi à Marat et aux femmes qui l'entourent. Elle raconte une journée comme les autres du Paris révolutionnaire, la frénésie urbaine, la tension brûlante qui anime Charlotte au fil de son périple, les souffrances d'un Marat éreinté par la maladie, les craintes de ses proches, les violentes critiques dont il est l'objet. Elle rend aussi à la jeune femme le mystère qui est le sien. Car de ce choix ultime, suicide pour la cause, volonté sans faille, nul ne peut mesurer la profondeur et l'enjeu personnel. Pour sa cousine contemporaine, mesurant les forteresses qui enfermaient les femmes de l'époque, Charlotte n'a pas le choix. Seule possibilité pour sortir de sa condition : la violence. Se perdre pour exister. Ou faute de ne pouvoir exister autrement.