Nouvelle traduction de Christine Jeanney, version non censurée Pendant des semaines, il ne montait pas, et il oubliait l'horrible chose peinte en se tournant, le coeur le ger et rempli de joies insouciantes, vers les plaisirs de la simple existence. Puis soudain, une nuit, il se glissait hors de chez lui pour se rendre dans un endroit sordide pre s de Blue Gate Fields, ou il pouvait rester des jours et des jours, jusqu'a ce que les gens l'en chassent, emplis d'horreur, exigeant de lui de monstrueux pots-de-vin en compensation de leur silence. A son retour, il s'asseyait face au portrait, parfois le hai ssant tout en se hai ssant lui-me me, ou d'autres fois avec la fierte re volte e qui participe a la fascination pour le pe che , souriant secre tement de plaisir devant l'ombre difforme condamne e a porter le fardeau qui aurait du e tre sien.
« C'est la fin de six années de tâtonnements », écrit Virginia Woolf dans son Journal en juin 1938, « d'efforts, de beaucoup d'angoisses, de quelques extases. » Trois ans avant son suicide, dix ans après l'écriture d'Une pièce à soi, paraît Trois guinées, qui prolonge la réflexion entamée précédemment sur la place accordée aux femmes dans la société et dans la sphère intellectuelle, l'équilibre entre les sexes, la domination masculine.
Construit à l'origine comme un roman-essai incluant le texte de fiction qui deviendra plus tard Les années, Trois guinées est une démonstration brillante qui, sous prétexte de répondre à une question liminaire, « que faire pour prévenir la guerre ? », nous éclaire sur notre propre condition. Nous sommes alors dans le tumulte d'une nouvelle guerre à venir, dans l'antichambre de nouveaux cataclysmes, et Virginia Woolf choisit de mettre en scène sa propre réflexion comme une réponse à une lettre qui lui est soumise. C'est un texte à la portée universelle qui nous est adressé, publié bien en amont de nos parcours actuels mais dont les enjeux demeurent au centre de ce que l'on appelle aujourd'hui les études de genre. Virginia Woolf, qui invoque dans sa réflexion des figures littéraires importantes comme Emily Brontë, H.G. Wells ou Sophocle, nous renvoie à un monde encore aujourd'hui en partie rattaché au nôtre où s'exprime un dilemme majeur : celui des femmes piégées entre un patriarcat qui les étouffe et le modèle capitaliste censé pouvoir les en affranchir.
L'Oeuvre de Woolf est entrée dans le domaine public en 2012, ce qui nous permet aujourd'hui de proposer ce texte essentiel dans une nouvelle traduction de Jean-Yves Cotté, qui poursuit là son travail entamé avec Une pièce à soi. Ici encore, c'est une édition annotée et commentée qui vous est proposée pour pouvoir disposer pour la première fois de ce texte dans des versions couplées numérique et papier en français. Jane Walker l'a écrit dans une lettre envoyée à Virginia Woolf en septembre 1938 : « Trois guinées devrait être entre les mains de toute créature de langue anglaise, homme ou femme ». Jean-Yves Cotté nous guide pour élargir cette recommandation au-delà de la seule langue anglaise.
Melville savait-il, écrivant Bartleby, l'immense destin de son copiste ? Aborder un texte dont on sait qu'il a basculé la littérature tout entière, en tout cas un siècle et demi de littérature...
"Ou bien : n'est-ce pas notre propre histoire, mais notre histoire tout entière, celle des grandes villes dont Manhattan est l'emblème, celle de l'holocauste et ces silhouettes réduites à l'infini silence, et tous les fouilleurs de littérature qui, comme Franz Kafka, ont ajouté à Bartleby des frères puînés, qui ont donné après coup (pour reprendre le titre de Blanchot) sa vraie dimension à Bartleby ?
De bout en bout, c'est un récit de la mort, sur la mort, avec mort autant qu'un récit sur la ville, et une définitive allégorie sur la vie de bureau - ce que nous portons de mort en nous, que nous nions et qui nous emporte. Bartleby ne serait pas cet universel sinon. Mais c'est précisément ce qu'on ne peut nommer, et qu'il faut aborder par des figures. C'est cela, peut-être, qu'on nomme littérature.
Alors, quand toute cette machine est prête sous vos doigts, qu'on les entend crier dans leur marmite, qu'on voit la ville et qu'on s'en remémore les odeurs, alors oui se risquer à disparaître dans l'écart des deux langues, s'effacer pour traduire - comme raconter, au mot à mot, mais attentifs d'abord à la marche narrative, aux strates, aux jeux, aux images si étonnement visuelles - quand bien même la fenêtre ne donne que sur le mur de briques noircies. Attentifs aux attentes, aux lourdeurs, aux virages, aux reflets, aux coups. Et tout aussi bien à la mince figure abstraite, au milieu, omniprésente, et qui avale tout le reste. Raconter, parce qu'on nous raconte.
Aimer Melville, aimer New York. Craindre Bartleby.
The whisperer in the night. Un des plus grands Lovecraft, de ceux qui envahissent insidieusement les perceptions inconscientes.
Tout commence par de brutales inondations dans les zones sauvages et reculées du Vermont montagneux. Le mot essentiel du récit c'est "things", des "choses", mais le mot partout récurrent dans le récit passera sans cesse des êtres mystérieux à ses acceptions courantes.
Comme toujours dans Lovecraft, le combat c'est avec la fiction elle-même. Non seulement la variation de tous les registres de style dans la correspondance du narrateur avec le personnage central, Henry Akeley, mais l'usurpation de son identité.
Et, comme dans tout grand Lovecraft, prendre à bras le corps la modernité scientifique. Et, magie ultime de prestidigitateur, le récit est censé se passer un an avant son écriture - entre temps, on a découvert Pluton, alors le récit embauche à son profit cette découverte pas encore faite, et qui viendra corroborer la peur et l'étrange.
Maison solitaire, chirurgie spéciale, combats dans la nuit - tout vient ici, feutré, sous les pages. Mais il est bien réel qu'à l'été 1928 Lovecraft fit lui-même un voyage dans le Vermont et y fut accueilli chez un de ses compagnons nouvellistes des Weird Tales. Alors qu'elles sont belles, ces pages du voyage réel, en train puis en voiture (la voiture elle aussi son rôle, comme le téléphone et les horaires de train), de Boston jusqu'aux montagnes.
Dans cette dernie re pie ce qu'Euripide consacre a Dionysos, dans la « modernite » voulue de l'oeuvre s'affirme l'homologie entre l'expe rience dionysiaque et la repre sentation tragique. Si le drame des Bacchantes re ve le, a travers l'e piphanie de Dionysos, la dimension tragique de la vie humaine, il fait aussi, en « purifiant » cette terreur et cette pitie que provoque l'imitation sur sce ne des actions divines, briller aux yeux de tous les spectateurs le ganos, l'e clat joyeux et brillant de l'art, de la fe te, du jeu : ce ganos que Dionysos a le privile ge de dispenser ici-bas et qui, comme un rayon venu d'ailleurs, transfigure le morne paysage de l'existence quotidienne.
S'il est mort, pourquoi revient-il si souvent ?
Les absents, ce sont encore les présents qui les situent le mieux. Théo est de ceux-là. Enfant, il a perdu son père. Vingt ans plus tard, ce deuil refait surface, après le retour soudain d'une vieille connaissance. A priori, les immeubles haussmanniens, le souvenir d'un père, les barricades révolutionnaires et le navire naufragé du commandant Charcot n'ont rien en commun. Mais pourquoi pas ?
Loin de mener une enquête rigoureuse, mais en acceptant de se mettre en quête de ses origines et de son passé, Théo imagine des vies qui ne sont pas les siennes, mais qui sont connectées, de près ou de loin, à son état présent. Ainsi s'assemblent peu à peu les pièces d'un puzzle qui n'appartient qu'à lui, et s'adresse à chacun.
Après L'épaisseur du trait, entre l'Est parisien et le Finistère, Antonin Crenn poursuit son exploration des espaces et des lignes de fuite. Avec Les présents, il explore une dimension supplémentaire : le temps.
Au bout de la jetée : la fin du voyage, le domaine que j'aurais voulu sans partage, de l'eau, des bêtes marines, des oiseaux et de la sauvagine. Sur cette frontière, un cyclope, le phare des Onglous, veille de son oeil rouge le Canal du Midi et mon étang de Thau. Au loin, la colline de Sète allume ses milliers de lanternes et les vagues se brisent à nos pieds sur les rochers. Du haut de mes vingt ans, me voilà chef de bande : à ma gauche Aristide, le géant simplet, qui m'est tombé dans les bras comme un grand gamin quand le vieux Manuel s'est pendu ; à ma droite, Malika, notre lionne boiteuse, notre amoureuse, arrivée sans crier gare et chamboulant notre fragile équilibre. Ça sonne paisible, mais dans la nuit habitée de la lagune, autour de notre cabane de bric et de broc, un monstre rôde et des gamines s'évaporent dans la nature...
Reposant sur une divergence de notre Histoire, l'uchronie nous raconte un autre passe, tel qu'il aurait pu etre, tel qu'il n'a pas ete. Que se serait-il passe si Alexandre le Grand avait affronte Rome ? Si les habitants d'Amerique avaient traverse l'Atlantique avant les Europeens ? Si Louis XVI avait domine la Revolution francaise ? Si Napoleon III etait mort assassine en 1858 ? Si l'Allemagne avait attaque le France en 1905 ? Si le chemin de fer avait ete invente apres l'automobile ? L'uchronie est devenue un genre majeur des litteratures de l'imaginaire. Une autre histoire du monde explore les sources du genre uchronique, presentant treize textes couvrant 2500 ans d'uchronies de l'Antiquite jusqu'aux annees 1930. Quatre de ces textes sont reveles pour la premiere fois.
Quel est le nom de cette ville qui brûle en moi ? Que ce soit lors de ses errances citadines, ses voyages souterrains ou hors la ville, Christophe Grossi aime observer ce qui nous relie ou nous oppose. Au fil des rencontres fugaces ou vivaces, des moments de tension ou d'apaisement, il s'interroge sur notre présence au monde, notre immobilité en mouvement et nos désirs de fuir. Si la ville fascine, elle peut griser aussi. Et dans nos va-et-vient, comment habiter les lieux traversés, quel que ce soit le mode de transport choisi ?Dans ce récit qui procède par fragments, où les voix convergent et se complètent, une galerie de portraits se construit. Une nouvelle carte apparaît, faite d'itinéraires réels ou imaginaires, le long desquels les absents hantent les vivants. Et chaque trajectoire prend la forme d'un possible soubresaut. La ville soûle n'est pas un récit de voyage au sens propre : c'est une métamorphose.
Tous les enjeux de l'épopée comme matière première des peuples sont présents dans les luttes actuelles à l'aube des bouleversements climatiques. Le langage, la poésie ont certainement un rôle à y jouer. Tout comme la musique, mise à l'honneur dans cette deuxième édition de Climats que prolonge une lecture de l'auteur accompagné par Fred Wallich et Philippe Saliceti : de quoi faire revenir le poème aux accords qui l'ont porté ces dernières années dans un nombre important de rencontres et de performances, rendant hommage à la part collective des échanges.
Car dans Climats, les forces à l'oeuvre sont plurielles : les lois de la physique et la chimie des atmosphères sont les magies de notre temps ; les scientifiques nos sages ; les victimes de Katrina le choeur des sacrifiés d'hier ; les peuples en résistance contre les puissants les héros anonymes qui nous montrent la voie, pendant que les planètes voisines, aux noms de dieux romains oubliés, nous offrent un aperçu de notre avenir si nous ne faisons rien pour remédier au pire. D'autres horizons s'offrent à nous, néanmoins. Qui sait l'utopie est même permise. Bien sûr que c'est possible, nous rappelle l'épopée. L'air est la lumière. Et le monde est sensible.
Hymne insurrectionnel, de ceux qui précèdent l'action et l'accompagnent. Claude Vercey, revue Décharge Nous sommes pris dans un flux où l'histoire et l'épopée se mêlent pour donner à entendre un chant singulier. (Sylvie Durbec, Cahiers critiques de poésie)
Qui est Robin Sonntag ? Informaticien au sein d'une société secrète, il oeuvre à sauvegarder les savoirs de l'humanité via un réseau d'algorithmes répartis sur des millions d'ordinateurs et d'appareils domestiques.
Qui est Alice Barlow ? Celle que Robin ne parvient pas à oublier, et qu'il ne veut pas souiller de sa virilité toxique. Ne pouvant couper aucun pont avec elle dans ce monde hyperconnecté, une idée lui est venue : celle de détruire Internet pour ne plus avoir de lien, même potentiel, avec elle...
Dans ce roman d'un nouveau genre, capable à la fois de faire chanter les protocoles régissant les réseaux immatériels et suivre le cheminement des données giclant de câble en câble, Joachim Séné réalise dans l'écosystème littéraire ce que tout un chacun expérimente en ligne : il fait oeuvre de navigation. Dystopie au présent, L'homme heureux synthétise le meilleur et le pire du web encapsulés sous la forme d'un roman à flux tendu qui "écrit les âges sombre du futur avec des bâtons de bergers étrusques".
Il marche, comme nombre d'hommes et de femmes migrant d'une frontière à l'autre, la perte de ses papiers d'identité le confine à l'errance. Qui est-il, où va-t-il, quel est son nom pour commencer ? Mystère. Voilà à quoi l'on est réduit aux yeux de l'administration : quelques dates, un coup de tampon, un nom. Une empreinte. Mais la vie, la singularité d'un être, sa sensibilité, ce n'est pas réductible à ces quelques données. Ça déborde.
C'est le point de départ de cette enquête qui nous mènera hors des sentiers battus de notre époque, et de la parole : une crue intérieure qui pousse le corps à se mouvoir. De là à arpenter le monde par son envers, tâcher de retrouver un nom qu'on a perdu, vivre au niveau du sol avec comme seuls compagnons les ami·es de passage et les rats, il n'y a qu'un pas. Et tant d'autres.
Dans ce roman résolument politique, poétique, qui sait placer lecteurs et lectrices à la place de l'autre, qui mesure l'écart entre les mondes autant qu'entre les langues, se dessine peu à peu la figure du fantôme nuisible en quoi notre glaciale époque peut potentiellement métamorphoser tout un chacun au premier soubresaut géopolitique venu : d'un côté pas vraiment immigré, de l'autre pas tout à fait émigré. Quelque chose entre les deux. Une sorte d'Ulysse cherchant non pas à retourner chez lui mais en. Un emmigré.
Nous sommes à Arles, le 18 mars 1888. Nous sommes à Saragosse. Nous sommes à Londres. Nous sommes en novembre 1887, à Paris. Nous sommes en Slovénie, au Maroc. Nous sommes à Valparaiso, nous sommes au nord de la Suède, en 1889, nous sommes à Porto. Nous sommes à Belleville. Nous sommes à Séville, en Irlande, dans les Balkans. Nous sommes en 2007, en 1992, en 1964, en 1940. Nous sommes partout, nous sommes tout le temps, guidés par le décortiqueur de vies qu'est Matthieu Hervé, qui prend la casquette d'un biographe marionnettiste, et fait se croiser au gré des époques et des pays, des hommes et des femmes qui s'aiment, écrivent, peignent, souffrent, fuient, trompent, se trompent, philosophent, font du cinéma, du cirque, voyagent, luttent contre la maladie, découvrent la poésie, l'architecture, l'art, la mélancolie, le tragique, le silence, espèrent, jouent, jouissent et meurent, chacun dans leur petit monde, dans leur petit espace-temps à eux, qui enfin éclosent, émergent, et surprennent comme autant de gigantesques monuments qu'on croiserait au détour d'une ruelle. Et peut-être que tous ceux-là ne forment en fait qu'une seule et même personne, pourquoi pas un jeune homme solitaire assis à la table d'un bar, qui écoute ce qui se passe autour de lui, qui murmure tout bas, et qui construit son petit théâtre personnel : coté cour et côté jardin, ses personnages alignés, entrant en scène chacun leur tour, un peu solennels, attendant que l'autre ait fini de vivre ce qu'il devait vivre ; en face, son public, les lecteurs ; dans la fosse, l'orchestre et son chef, un singe en queue-de-pie ; et puis l'écho du monde comme souffleur.
Que s'est-il passé ? Voici le livre le plus étonnant de Ioànnou. On reconnaît bien son monde et pourtant tout a changé. L'auteur est toujours là, au coeur de ces récits composites, inclassables même si, à vrai dire, la part de fiction semble ici plus grande, même si l'auteur-protagoniste se dissimule à moitié parfois, passant du je au il et même, une fois, sans doute, au elle... On reconnaît aussi les thèmes solitude, amours impossibles, union de l'amour et de la mort, du sexe et du sacré, du désespoir et de l'espérance. Il est vrai que cette fois le narrateur s'enhardit, l'autocensure se relâche, l'aveu se fait nettement plus explicite. Mais la grande nouveauté, c'est un spectaculaire changement de voix. L'écriture ancienne de Ioànnou, brève, ramassée, à la fois dense et trouée de silences du court qui en dit long est soudain balayée par un grand souffle, comme si une digue cédait soudain, et un torrent de mots déboule tout au long de paragraphes immenses, de phrases qui n'en finissent pas, dans des histoires qui sentent l'insomnie et la fièvre, hallucinées, égarées, où les lieux et les temps parfois se mêlent, brûlantes, où parfois l'on se perd.
Comme une suite de poèmes vocalisés par une ballerine voyageuse, « Alger céleste » trace une cartographie intime entre est et ouest, sud et nord, air et terre, Russie et Algérie, personnages de contes et héros nationaux. Délimitation d'un territoire reçu dans l'enfance puis réinventé par les mots. Ce qu'ils contiennent de distances et de rapprochements, de jeux et d'étrangeté au passage d'une langue vers l'autre, Katia Bouchoueva, poète et slameuse, sait le faire entendre et résonner.
Quand votre maison n'existait que par intermittences, comment faisiez-vous des projets d'avenir ? Le petit monde d'Alexandre, c'est son appartement, son quartier, son lycée, ses tableaux, ses amis. Mais il vit dans un Paris qui nous échappe, un Paris en deux dimensions tel qu'on peut le représenter sur un plan. Il s'en accoutume bien, même si la vie quotidienne de part et d'autres des pliures est parfois compliquée. Pour autant, quelque chose brûle en Alexandre. Y-a-t-il autre chose à attendre du monde ? Comment se situer dans un environnement sans horizon ? Dans une ville en mouvement instable, il s'en remet aux espaces et aux lignes de fuite pour faire l'apprentissage de sa propre ligne de vie. Adepte des formes courtes, Antonin Crenn réalise avec L'épaisseur du trait une aventure de grande ampleur. Dans la douceur et la sensualité des gestes, des regards, des architectures, il réenchante le thème du passage à l'âge adulte sous la forme d'un conte urbain à géométrie variable.
« J'ai re^ve´ que Jean Paulhan avouait sur un plateau te´le´vise´ qu'il avait cre´e´ de toutes pie`ces le personnage de Maurice Blanchot comme incarnation de tout ce que repre´sentait la litte´rature d'apre`s-guerre : personnage kafkai¨en, ubiquiste et cantonne´ en permanence a` une chambre d'e´criture/ lecture («une espe`ce de chambre d'e´cho», disait-il). Oui c'e´tait lui, et un petit comite´ d'e´crivains trie´s sur le volet, qui avaient re´dige´ L'entretien infini, L'attente l'oubli ou La folie du jour. Si au de´part il e´tait quasiment seul, l'e´criture est devenu de plus en plus collective au fil du temps, ce qui rendait la syntaxe (notamment) si singulie`re et l'emprise si importante. Nous e´tions dans le bureau de la rue ex-Se´bastien Bottin. Il avait un gecko sur le revers de costume et trempait de temps en temps le bout de ses doigts dans un bocal d'eau verte. ».
Livre hybride, entre lecture et e´criture, essai osant parfois sa part de fiction, l'enque^te de Benoi^t Vincent vise a` sonder l'incertitude voire l'ambivalence dans la production contemporaine de ces dernie`res de´cennies. En un mot, l'inquie´tude. Car la litte´rature inquie`te, dans toutes les porosite´s des deux versants d'une me^me pie`ce : lire & e´crire.
En marge des e´claircissements acade´miques ge´ne´ralement propres a` la critique, La litte´rature inquie`te se plonge dans les eaux profondes, suppose´ment obscures, des e´critures d'aujourd'hui, en traversant entre autres les territoires d'Arno Bertina, Franc¸ois Bon, Nicole Caligaris, Italo Calvino, Patrick Chatelier, Claro, Emmanuel Delaplanche, Re´gis Jauffret, Pierre Senges, Enrique Vila-Matas, Guillaume Vissac ou Antoine Volodine. Le tout sous les figures tute´laires que sont Paulhan, Blanchot, des Fore^ts et Quignard.
Tu m'embrasses me questionnes - sondant mon coeur as-tu aime te balader dans un jardin avec moi - ta gentillesse les boeufs blancs qui paissent en paix dans le bocage pour nous y rendre - tes pas parmi les fleurs les fleurs parmi tes pas - tu e tais un the a tre de verdure au milieu des marais une chambre avec son the a tre de verdure - e tais borde e de sentiers tu bordais les sentiers - e tais quinze hectares dans quinze hectares un labyrinthe dans le labyrinthe - tes le vres sur ma tempe les viviers de ta voix en secret « Tu emme nes mon corps jusqu'a tre s loin », dit le poe me, qui e gre ne en une suite de strophes une histoire d'amour adresse e, en divers lieux traverse s ou l'autre n'est jamais dissocie du paysage. Un poe me en prose a la fac on d'un journal, pour dire les lieux que l'on conserve en soi, ces condense s de temps et d'espace, des de parts, des voyages car le regard y est mieux aiguise - dans cet ailleurs, ce qui fait l'e clat d'un amour, d'un geste, d'une parole subtilement s'accroche.
Découvrir les poèmes de Fabrizia Ramondino tels que les a traduits Emanuela Schiano di Pepe, c'est tomber sous un charme, celui d'une langue concrète, une langue qui s'est déplacée pour donner à voir et à entendre depuis un angle intime et hors du commun. Fabrizia Ramondino s'attache à la forme des choses mais elle creuse aussi au-dedans, d'une façon à la fois psychique et photographique. Ces poèmes (d'un état, d'un souvenir, d'un lieu) parviennent à accompagner et à révéler la sensibilité de l'auteure avec une netteté remarquable. C'est là leur plus grande force.
Francesca Ramondino reçoit le prix Pasolini en 2004 pour l'anthologie dont est tiré ce recueil. C'est la première fois que ses poèmes paraissent en français.
L'une d'entre nous a fui. L'une d'entre nous a profité du sommeil de l'homme pour partir. Nous étions alors toutes cette fille qui fuyait comme une bête. Qui qu'elle soit, d'où qu'elle vienne, elle doit maintenant s'en sortir seule. La voici en proie aux violences de la ville, à l'ivresse, à la prostitution. Dans la rue, tout est à réapprendre : comment interagir et avec qui, où se trouver un abri, comment s'alimenter, savoir se tenir chaud... Les regards se posent sur elle, certains plus à craindre que d'autres. Son nouveau territoire se dévoile. Jusqu'où peut-il s'étendre ? À la rue ? Au quartier ? Au monde dans son ensemble ? Si jeune et déjà sa survie se joue là, sous des yeux qui savent ne pas la voir. Mais aussi la vie tout court, soufflant le chaud et le froid, l'extase et le dégoût, l'angoisse des nuits et la beauté de l'aube, chaque jour recommencée. En quelques deux cent pages d'une rare intensité, Fanny Garin parvient à nous remettre le coeur à sa place.
Mô a vieilli. Il lui aura fallu vingt ans pour digérer son voyage infernal sur l'étang d'encre. Il se croit pacifié, rangé des voitures, il tisse sa toile, tranquille et sans accroc. Mais dans l'ombre de son paradis, ressurgit sans crier gare la valse des embrouilles.
Main dans la main avec une inquiétante Chinoise, il rôde et bataille avec des mafieux russes, trafique avec ses vieux copains et sème à tire-larigot des cadavres dans son sillage. Une nouvelle course dopée à l'héroïne qui sent l'amour à mort et la vengeance sauvage.
Conte ethnographique hyperréaliste et roman noir, ce quatrième épisode constitue une excellente porte d'entrée dans La Saga de Mô.
« Vous qui entrez ici, abandonnez toute espérance ! » Indécis, ils s´assirent d´abord sur la coque et observèrent un moment le passage continu des spectres à l´assaut des rives de l´Enfer dans la clarté diffuse qui provenait de nulle part : pas de soleil, de lune ou d´étoiles dans ces parages.
L´Histoire ne mourant jamais, de l´étang de Thau à l´Enfer de Dante, arrivée brutale de l´oncle Henri, le dernier des pourris, la pire des raclures. À ses côtés, Mô, dilué dans le désespoir comme on se perd dans un brouillard façon Zyklon B, s´aventure à l´aveugle dans les neuf cercles fantasmagoriques peuplés de damnés nazis et de diables cornus. Comment ne pas le suivre dans cet Enfer tatoué de croix gammées quand on sait qu´il va faire la lumière sur la part d´ombre qui l´agite depuis son enfance ? Lancé dans ce cauchemar comme un chien dans un jeu de quilles, dans l´obscurité et la douleur, Mô découvre qu´il n´y a pas de limites à l´horreur.
Comme Changeons d'espace & de temps, Un Hymne à la paix (16 fois) et d'autres ensembles, Climats est composé de séquences qui peuvent être assemblées et parcourues de différentes façons ; chaque parcours est différent des autres sur tous les plans : significations, intensités, tonalités affectives.
L'expérience de lecture, proposée avec l'édition numérique de Climats, donne à lire ce poème de trois façons.
Laurent Grisel _____________ Laurent Grisel a composé Climats à la demande de l'écrivain Cécile Wajsbrot. Ce texte audacieux « prend la question du climat sous tous ses aspects : physique, psychologique, politique et financier » indique l'auteur.
Son poème rejoint l'ambition des anciens poèmes didactiques dans lesquels poésie et science s'allient, pour nous donner une plus ample vision du monde.
Écoutons cette épopée qui sous tous les climats dresse en héros les Indiens Mundurukus ou Hansen « le rigoureux, l'émotif » ; ou simplement la Nature elle-même dans sa puissance, dans son silence bruissant. Écoutons ce chant rythmé qui offre à l'homme tout simplement une possibilité de futur.
Au fond il faut un poème pour que la conscience de l'Éternité (« la mer allée/avec le soleil ») puisse nous en montrer la fragilité et qu'elle nous éveille à une pleine conscience de notre humanité : il nous reste à sentir, comprendre et agir.
Un très beau texte dont la portée forte nous touche. Ce poème, au-delà de ce qu'il dit, tient dans ce qu'il est.
François Rannou
Vendange 1960.
Le soleil se couche rouge. Le conteur, Mô, un gamin de douze ans à la langue bien pendue, entêté comme personne, démêle les fils d'un polar haletant, labyrinthe en forme de cauchemar éveillé. Avec son ami Aristide, géant microcéphale à cervelle de moineau, et sa bande de gosses effrontés, il rôde dans le noir et s'interroge : qui a tué la belle Meneuse ?
La horde poussiéreuse des vendangeurs, hantée de dangereux secrets, suit les sillons que creuse le sang dans les vignes. Dans le marais et sur l'île interdite, quand survient la nuit, veillent les sentinelles aux crânes de morts. Mais quel est donc cet étrange endroit où règne le réalisme magique ?
Découvrez l'ethnographie sanglante d'un microcosme sudiste et le début d'un long conte noir, l'enfance d'une vie : la Saga de Mô.
Ce volume est le premier d'une série de six titres, à la croisée du polar et du fantastique.