« La maison a beaucoup changé / après ton départ / J'ai changé / La Syrie a changé... » Les mots par lesquels s'ouvre le recueil d'Hala Mohammad laissent entendre qu'il y a un avant et un après, un ici et un ailleurs... Plus encore, un billet aller qui ne laisse à l'exilée que peu d'espoir de retrouver indemne le pays qu'elle a laissé. De poème en poème, l'auteure cartographie l'absence et son cortège de chagrins. Une révolution avortée, la guerre, les routes de l'exil, les dures conditions de vie des gens qui ont parfois tout perdu mais qui continuent à vivre et à aimer. Car ce sont eux qui intéressent la poètedocumentariste, qui progresse caméra au poing. Avec un sens inné du court-métrage, elle défie la peur et nous livre un texte d'une force rare « contre la géographie de la tyrannie ».
Lorsque Ghassan Zaqtan parle de secouer les pesanteurs, ce que font les poètes de sa génération, il parle d'une contestation des idéaux parfois écrasants des générations précédentes à l'intérieur même de l'histoire de la poésie et de la société palestiniennes ainsi que des différents courants qui ont modifié la poésie arabe, notamment en Irak et au Liban. Ce qui a changé, ce n'est pas la détermination des poètes palestiniens à défendre leur terre, c'est la manière de le dire à partir de leurs histoires personnelles, individuelles, et c'est l'angle de vue réaliste qui est le leur comme celui de nombreuses autres jeunes générations poétiques actuelles de par le monde, et qui provient du constat de la fin des idéologies, de la globalisation galopante et d'un sentiment aigu du réel, sinon du désenchantement du monde. La dénonciation de l'oppression se fait aujourd'hui à voix blanche. En témoignent les poètes repris dans ce présent recueil, dont l'ambition est celui d'un coup de sonde dans le poème palestinien le plus contemporain.
Éric Brogniet.