De ce moi qui occupe d'abondance le champ littéraire et philosophique, on dit communément qu'il est absent de la pensée antique. On se propose d'abord d'interroger, pour éventuellement la remettre en question, cette curieuse absence. Y a-t-il place, dans le champ antique, pour autre chose que le « soi », cet impersonnel dégagé des particularités biographiques qui excède l'individu tout en recelant son identité? Dans quels concepts antiques est-on fondé à repérer, autrement distribués, les éléments du concept moderne de moi, quels sont ceux qui, à l'inverse, lui sont abusivement ralliés? Plutôt qu'une place vide, ne trouve-t-on pas, chez les Anciens, un concept alternatif du moi, délié de l'unicité comme de l'intériorité?
La seconde partie de ce volume vient orienter le programme indiqué par Vernant d'une « histoire de l'intériorité et de l'unicité du moi » vers une histoire de l'intériorité, c'est-à-dire une histoire des problématisations de l'intérieur. Si l'organisation mentale et psychique des Grecs n'était pas orientée vers le dedans, mais vers le dehors, si l'introspection n'est pas une pratique de fait, comment est apparue l'alliance entre subjectivité et intérieur que nous présupposons le plus souvent? Il fallait, indissociablement, illustrer combien cette problématisation de l'intérieur n'est pas exclusive, et identifier comment les associations qui la composent peuvent être déliées, au profit parfois d'un tout autre paysage conceptuel.