Depuis toujours les gens se racontent des histoires pour tenter de donner du sens aux énigmes de l'existence : du mystère des origines aux différences entre les êtres et à la finitude du temps. C'était la fonction originelle des mythes, contes et légendes de tradition orale : construire, imaginer et transmettre des récits au fil des générations sont autant de possibles réponses aux questions existentielles. La narrativité participe à construire l'identité du sujet, nous sommes les histoires que nous nous racontons sur notre histoire, selon Paul Ricoeur. Pour autant, le processus de mise en récit ne se résume pas à la seule construction identitaire. La question « qui suis-je ? » rencontre toujours à un moment la question plus ou moins formulée : « de qui suis-je ? ». Mettre en récit son histoire ramène toujours à l'originaire et aux fantasmes inconscients qui lui sont adjoints. « Les histoires apprivoisent le temps, domestiquent l'inattendu et permettent de transformer ce dernier en événement et non en traumatisme, l'événement faisant progresser le récit tandis que le traumatisme le rompt », écrivent Zigante, Borghine et Golse. Dans le soin psychique, l'acte narratif permet de lier l'excitation pulsionnelle et de se dégager des vécus traumatiques, il soutient aussi la continuité du sentiment d'exister. En revenant sur son histoire, le sujet éclaire également peu à peu les pièges de la répétition. Pour acquérir une valeur psychothérapeutique, l'acte narratif doit contribuer à engendrer la réflexivité, un écart par rapport à soi-même, à réinstaurer de l'altérité. Un récit ne vaut que d'être adressé à un autre que soi, étant entendu que cet autre peut être un autre en soi ou soi comme autre. D'un côté, l'autre est contenu dans ce que nous racontons. D'un autre côté, nous ne sommes pas tout entiers contenus dans ce que nous racontons. Il est important que la part inconsciente, réprouvée et incohérente qui habite le sujet ne soit pas occultée par un récit trop lisse et une écoute trop superficielle.