Cet ouvrage ne concerne pas l'histoire des psychoses, mais bien l'avenir de la psychiatrie médicale concernant ces pathologies qui touchent un peu plus de 3% de la population. Pour les esprits curieux de cerner et distinguer ces psychoses, le DSM comme la CIM s'avèrent particulièrement décevants. Aucune de ces classifications ne cherche à définir des entités morbides naturelles, c.-à-d. des maladies. Il ne s'agit que de regroupements symptomatiques obtenus par consensus d'un collège d'experts. En l'absence d'une classification étiologique ou physiopathologique, cette approche est un pis aller acceptable, puisqu'il permet d'adopter un langage commun et donc l'accumulation d'une base de connaissance empirique.
Paradoxalement bien qu'une insatisfaction soit perceptible, tout le monde semble se satisfaire de ces définitions, et la recherche d'une classification naturelle est curieusement devenue marginale, générant au mieux indifférence ou incrédulité. Et pourtant ...
Dans la nuit du 12 au 13 août 1961, le mur "de la honte" isole Karl Leonhard, le maître de l'Hôpital de la Charité de Berlin Est, privant l'Ouest de sa classification des psychoses, la plus proche d'une classification naturelle. Heureusement, tout n'est pas perdu. Angst à Zurich et Perris à Umea, grands adeptes de Leonhard, répliquent les résultats obtenus sur les troubles bipolaires et unipolaires de l'humeur et savent convaincre les pays de l'Ouest de la pertinence d'une telle séparation. Mais l'oeuvre ne se limite pas à cela ! Leonhard n'isole pas moins de 35 formes différentes, classées en 5 familles dont le pronostic reste très distinct : les psychoses maniaco-dépressives, les dépressions et les manies unipolaires, les psychoses cycloïdes, les schizophrénies non-systématisées et les schizophrénies systématisées. Il montre en plus que leur charge héréditaire varie de 1 à 15. Ses successeurs confirment et étendent ces premières observations. Actuellement la somme des cohortes dépasse allègrement les 6000 patients, avec pour certaines études un suivi prospectif de plus de 30 ans, permettant d'assurer la robustesse du diagnostic sur la vie entière du patient et non pas sur un épisode pathologique comme le permettent les classifications actuelles.
Il est curieux que les chercheurs ne se soient pas emparés de cet instrument. C'est tout particulièrement vrai pour la recherche en génétique. En effet, certaines formes, comme la catatonie périodique sont particulièrement chargées sur le plan héréditaire, alors que d'autres, telles les schizophrénies systématisées ne le sont pas du tout. Ces dernières sont en revanche chargées en événements ontogéniques.
Appliqués à la clinique, les tableaux définis par Leonhard sont la plupart du temps d'une remarquable pertinence, et le plus souvent aisés à reconnaître. Ils ont l'avantage d'établir un pronostic plus fiable, et d'ouvrir sur des prises en charge thérapeutiques plus adaptées. Ainsi, les psychoses cycloïdes que nous reconnaissons souvent comme des schizophrénies dans les classifications actuelles, ont un excellent pronostic et ne relèveraient pas systématiquement d'un traitement neuroleptique au long cours. Inversement certaines schizophrénies non-systématisées débutent par une bouffée délirante et mériteraient d'être traitées non pas quelques mois ou années au delà de l'épisode, mais à vie pour éviter une évolution défavorable. Enfin, la plupart des schizophrénies systématisées, de mauvais pronostic sont souvent résistantes aux thérapeutiques actuelles.
Ce livre est une introduction destinée à faire connaître aux psychiatres français les bases de ce joyau de la psychopathologie clinique ainsi que les différentes découvertes fondamentales et pratiques qui en découlent. Puissent les esprits curieux être interpellés et se saisir de cet instrument remarquable tant dans la pratique clinique que dans la recherche.